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(2018)
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LE NUMERO
France et Colonies Etranger
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MARDI
ORGANE
Directeur Politiquer^""** BRACKE suppléant LÉON BLUM Téléphone j
PARTI SOCIALISTE
RéP*OtlON ŒT ADMINISTRATION * 9. RUE VIC TO R-M A S SË > PARIS üxn
AOUT
1936
Administrateur-Délégué :
EUGÈNE GAILLARD
Juaqu’à 20 hourea : XRTOAJTfE 94-46 « 94-47 A partir de 20 heures t TAIXBOÜT 43-5 0
Adresse téWgrapttiqui ï
NALP OFUL-PABIS
I»*' EVENEMENTS D^SPAGME
Le Congrès des Instituteurs s’est ouvert
Les nervis à la solde de Doriot -Sabïanï causent à St-Zacharie de sanglants incidents
es qui
Les 1 0.000 grévistes ont ap¬ prouvé hier la convention établie par leur délégation
LE MAIRE, M. MAILLOUX, MEMBRE DU FARTI POPULAIRE FRANÇAIS, TIRE SUR LA FOULE VENUE POUR PROTESTER CONTRE LES EXACTIONS DES BANDES FASCISTES
ierra Guadarrama
[I a notamment établi le bilan des résultats acquis grâce au gouvernement de Front Populaire
Cette convention apporte une amé lioration aux taux minium cTaf
{Voir en sixième page te compte rendu des débats.)
Les colonnes du général loyal Miaja ne sont plus qu’à quelques
f litage et au salaire de garantie* Elle maintient les avantages acquis antérieurement
Cinq personnes sont blessées par les émules de Carbone
kilomètres de Grenade et les croiseurs espagnols
ont bombardé Geuta et Tarifa
UUUWWWMUn .
Après avoir grièvement blessé sa femme
un mari se donne la mort
Des événements d'une gravité partie <mlière se sont déroulés à Saint-Sa^ charte, commune du Var, située â quel¬ ques dizaines de kilomètres de Marv sel lie,
' La première version d& cos événe* mentSt donnée par les agences et par la presse dite d'information, est telle* ment contraire à la vérité qu'il noua faut la démentir dans son ensemble et dans ses détails, '■
SaintjZacharie est affligée d’un maire — M. Mailloux — ■ sabfanlste, carboniste et doriottetq.
Il y a quelques jours, M. Maillons présidait la réunion qu'osa tenir aiix Arènes du Prado, à Marseille, le rend- ; gat Maître-Jacques Dorlot.
Les électeurs de M. Mailloux, qui nô e& sont pas vendus en infime temps qus ï^ur élu, trouvèrent la pilule amère de-s protestations s'élevèrent.
M, Mailloux ne se frappa pas pour autant ; il fît appel, comme il est d’usa* ge en ce beau pays de Provence depuis que les gangsters édictent la loi, aux bandes de nervi, k Cartonna et autre* Splrlto.
A. LAMEORAY.
(Suite ^en 2* page> 3* colonne)
Lyon 3 août. — » M* René David, 55 ans, en villégiature à Paleymieux, a grièvement blessé sa femme d'une bal¬ le de revolver k la poitrine, et s'est en¬ suite donné la mort.
Mme David a été transportée h l'Hô- rcï-Dieu; #on état est très grave.
Une grande activité est déployée pour assurer aux arn>ées de la Ré¬ publique les munitions et. le ravitaillëmènt.
La bataille a fait rage durant 36 heures
François Blancho.
( Voir en troisième page.)
La situation des conquérants est précaire
(Lire nos informations en troisième page.)
LTayiation républicaine a bombardé Saragosse
LES JEUX OLYMPIQUES
ALEXANDRE BOGDANOV
O O O
L’ETOILE RO U G E
Dix-sept jours .se sont écoulés de- ïpuis que 'lé général Franco comment .fait dans le Maroc espagnol cette ré¬ volte qui aurait dû frapper à ïnort en quelques heures la République de 193 L v . —
Madrid et' Barcelone paralysés par la . sédition Sauraient dû offrir qu une faible résistance à la double pression ; du Sud, où les troupes marocaines auraient débarqué ; du Nord, où les rebelles disposaient d’un vaste territoire, allant presque sans solution de continuité de .la Galteie à -1 ’Àragon ; 1 ; * v',: -
€e plan de la révolte militaire et fasciste
£e départ d’une colonne de miliciens pour Saragosse,
» -HfSarraziriè » dç&tîiiés, paromè _lr_o- juu ru ts toiirer; i I ar > 1 ÿéooriqq
de " rÉsp^gne, les . bateaux, restés au service dé la République montent la garde dans la Méditerranée, boinbaîv j dent les bases des* insurgés.
Le Maroc, air lieu d;4tre le point ' de départ d’une marche triomphale sur Madrid, est devenu une sorte de sôuricièrèj pour lés Hlrèupes' de M, Franco, dont elles ne 'peuvent 5*4 va? üar que par petits paquets et en cou¬ rant de gros risques,
ILc gouvernement de Madrid avait été sourd et aveugles. Le peuple, re¬ présenté par les matelots, a entendu et: VïUiPOùr ifettfc r.i t fffsi»
André LEROUX.
j . i j -
(Suite en S* page, P colonne)
Avec les miliciens
Roman d'anticipation scientifique et sociale
Traduit du russe par Colette Phicnot
I/Etoiln Rouffe a, en* en Russie, un succès et une diffusion considé¬ rables. L'auteur, AIexandre Eûffdî1" nov; godal-démocrate très en vue, ami intime de Maxime Gorki, de Lénine et de K rassi ne, à joué un rôle éminent dans le mtiuve ment so¬ cialiste rus tse et plus particulière¬ ment dans son aile gauche, le bolchevisme. Ses ouvrages sont ré¬ pandus en Russie à des millions d'exemplaires. Plusieurs généra¬ tions de socialistes ont appris l'Économie politique dans Bogda- nov, vulgarisateur de premier or¬ dre en même temps qu’iiommc de' science* médecin, biologiste et phi¬ losophe,
I/Etollc Rouge est une anticipa¬ tion prophétique suus une forme romancée. Plusieurs des prévisions incorporées au roman sont déjà devenues réalité. D'autres le de¬ viendront peut-être... JVEtoite Bou¬ gée définit bien des problèmes po¬ sés à toute conscience socialiste et esquisse des solutions hardies, qui seront certainement parmi nous très controversées. I/Étoîle Roua* j>st le point dp départ de la litté¬ rature dite prolétarienne.
partir de demain liseï et faites lire autour de vous L’ETOILE ROUGE
Par noire envoyé spécial Jean-Maurice HERRMANN
préparé depuis longtemps jusque dans ses moindres détails, a échoué, parce qu’il s’est heurté à un obstacle imprévu : le peuple espagnol décidé k défendre sa liber¬ té. iLe plan a été conçu et réalisé par des militaires, et cela explique le fait «pï’ils ont négligé certains fac¬ teurs pathologiques. Séparés du peuple; ils n’en pnt pas tenu compte dans leurs calculs,
La sédition avait commencé an 'Maroc précisément p autre que les gé¬ néraux félons pensaient pouvoir dé¬ verser sur l’Esp aigue les bordes de la légion étrangère et des troupes indigènes, les seules vraiment qua¬ lifiées pour combattre..- le ■* marxis¬ me». La flotte, dont tous les offi¬ ciers étaient de la conspiration, .de- Va it transporter rapidement ces nou~ jyeauï Croisés*
i La flotte n'était pour M. Franco npTuà (élément technique, qu’un 'a moyen » à employer dans la stra¬ tégie de la sédition, U s’est trouvé æuf les bateaux des hommes, des Jiommes du peuples qui ont arraché nux officiers rebelles ce * moyen ». lAù ]ieu de transporter les nouveaux
L'attaque contre les rebelles est engagée méthodiquement par les chefs des organisations ouvrières. — Le « Popu¬ laire j> est acclamé par les héroïques défenseurs de la Ré* publique espagnole, — Le nouveau gouvernement catalan fait appel à la discipline des forces antifascistes* — En suivant le cercueil de Trillas»
Le noir Owens arrive premier de l’épreuve des 100 mètres*
{Voir en troisième page.)
Des aviateurs sonbils recrutés en France pour le rebelle Franco ?
(Voit' en deuxième page.)
Le financier Juan March est une puissance d'argent formidable au service du fascisme espagnol
atSgwSE*
ISï
Depuis quelques jours, M* Michel Dé¬ frayât se livre £ y ne activité assez sus¬ pecte.
M, Détroyat n'est pas seulement un pilote connu* |i est aussi administrateur à la Société Bréguet.
Or, ce Détroyat recrute, nous affirme- t-on, des pilotes pour le service actif dans l'aviation du général rebelle Fran¬ co, H leur offre des primes assez éle¬ vées*
Nous serions curieux de savoir si Tes services compétents sont au courant de ces agissements et si notamment on est sûr que les avions du stock Bré- guct n'iront pas grossir l'armée de Pair des fascistes espagnols*
LE TEMPS QITIL FERA
Drs prévisions de T0.1Y.M. — Asees beau temips, TuuflÆreitK, beP&s éclaircies, vtem-t NordOuea t modéré à aeaez fort; tnaxi'.ïiUiTn de temîtiératirre sera en hausse anr celui de la veille.
Il fournit des armes au général factieux Franco et subventionne le mouvement insurrectionnel
Au cours des précédents articles, nntis avons évolué la vie et les mœurs de V aventurier Juan Harch, devenu ï'm» des personnages les plus puissants de la péninsule. Nom fermions aujour¬ d'hui cette étude,
*4 *
Juan Mardh avait toujours Été l’ami de Primo da Rivera, baHxm prodtgue, sans csase à court d'argent, auquel ü avait eu soin de rendre de grands ser¬ vices d’ordre pécuniaire. Ce fut te die-- tateur et Malvy qui étouffèrent 1a plain¬ te ponr assasalnaÉ, faite à Alger, par le .frère et le vieux père de Tomas Llausot contra Juan March, Des raisons du même ordre avalent fait agir Prfmo et l’ancien ministre français, qui avait touché 5Û.0ÜU pesetas.
Le dictateur conseilla alors à son ami de faire un cadeau à la tOlIIO, « si charitable », et celui-ci consentit à fai¬ re construire à ses frais un magnifique préventorium à Majorque, La pose de la première pierre donna lieu à une fête inoubliable présidée par un évê¬ que. Celui-ci fit un éloge cnthüueiaste du généreux donateur qui se carrait dans un fauteuil* tandis que aa femme se prélassait aux côtés de l'évêque (coût: sîx millions).
Les travaux furent rapidement îne- nés et il n'y avait plus que les vitreE à noser, quand la République fut procla¬ mée. Lg préventorium n'était point fait pour le* aspirants à la tuberculose du nouveau régime, et tout resta en plan*
Sentant, depuis le 14 avril 1931. tou¬ tes sortes d* menaces peser sur lui, ï1* se décida à se défendre devant la Cons¬ tituante, Un ministre lui devait d* l'argent ; \\ avait des députés qui le soutiendraient, Tl se lït donc faire par un ami un .discours dithyrambique, nü il apparaissait comme un homme labo¬ rieux et honnête qui, né d'une famille modeste. -était devenu m ulti-mlll tonnai* re à force de travail* Il y expliquait ses première-B affaires d'achats et de ventes de terrains, soutenu par la Ban¬ que de Majorque, la façon dont 11 avait mis de T argent dans une fabrique d»
Tous d$ accord
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iiM;!
x #533$ S. ï:i
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Les travailleurs de la terre, brandissant la faucille, viennent à Sig-uenza pour s’intir aux forces gouvernementales,
KÜIIÜii
Anche in Francia, corne in Spagna, sono al po- tere le sinistre. Eppure — dicono ï socialisti fran- cesi — in Francia non ci sono rivolte nè incendi. r è massacri. E’ anche vero pero che le sinistre francesi sono al governo da pochissimo tempo.
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ATTENDEZ UN PE J
<a En France aussi, comme en Espagne^ les gauches sont au pouvoir. Cependant — disent les socialistes français — en France il n’y a ni révoltes^ ni incendies> ni massacres. Mais il est vrai aussi que cbb gauches sont an gouvernement depuis peu d^ temps, »
(Manchette gui a parti dans la Siampa du % août,}
. ' " " _ J ■ ‘ l ■ . . r, r “ • ’J °. , P 1 ; . .
Dans des avions trimoteurs italiens destinés aux rebelles espagnols : 1b premier en panne sur Ja rive française de la Moulouyaj l’autre qui
ssest écrasé à Saidia.
/ v " _ 1 ‘î.Füiir^
— En tout cas, nous sommes d’accord, sur un poin. : La France ne sera vraiment française que si Hitler et les Riffaïna de Franco s’en mêlent l
source gallica.bnf.fr / Bibliothèque
nationale de Franc
N“ 1. Feuilleton du Populaire. 5-8-36
I; Alexandre Bogdanov ■
L'ETOILE
ROUGE
russe
Traduit du par Colette Peignot
Le docteur Werner à l’écri¬ vain Mirski :
o Je vous envoie, camarade, les mémoires de Léonide. Il sou¬ haitait les faire éditer. Vous sau¬ rez mieux que moi arranger cela. Quant à lui, il s’est enfui. J’a¬ bandonne l’hôpital et vais à sa recherche. Je pense le trouver .dans la région minière oit se pré¬ parent à Vheure actuelle de sé- fUua événement». Le but de ton
évasion est sans doute une ten¬ tative indirecte de suicide. O’est encore un effet de la maladie mentale que vous savez. Et ce¬ pendant, il était si près d’une complète guérison...
» Dès Que je saurai quelque chose, je vous aviserai.
» Salut chaleureux.
> Votre N. Werner. »
24 juillet 190...?
(8 ou 9, illisible.)
*+*
Manuscrit de Léonide
PREMIERE PARTIE
I. — RUPTURE
C’était à l’époque où venait de commencer dans nôtre pays ce grand bouleversement qui dure encore et qui, je pense, approche maintenant de sa fin inéluctable et terrible.
Les premières journées sanglantes avaient si profondément ébranlé la conscience publique que tous atten¬ daient une issue rapide et heureuse du combat : il semblait que le pis fût accompli et que rien de pire ne puisse’ arriver. Personne n’imaginait que les mains osseuses du monde moribond étranglaient et étrangle¬ raient encore les vivants dans leurs étreintes convulsives.
L’exaltation du combat débordait, impétueuse, dans les masses. Les es¬
prits s’ouvraient tout entiers à l’ave¬ nir ; le présent fondait dans un brouillard rose, le passé s’estompait, disparaissait. Les rapports humains étaient plus instables et précaires que jamais.
Au cours de ces journées, advint ce qui retourna ma vie, m’arracha de la lutte populaire et me mit hors du combat.
J’étais, malgré mes vingt-sept ans, l’un des vieux militants du Parti. Je comptais derrière moi six années d'activité, interrompues seulement par un an de prison. J’avais pressenti avant beaucoup d’autres l’approche de la tempête, aussi l’affrontais-je avec calme. Il fallait travailler beau¬ coup plus qu’auparavant, mais je n’abandonnais ni mes investigations scientifiques (la question de la for¬ mation de la matière m’intéressait particulièrement), ni mes besognes littéraires : j’écrivais dans des re¬ vues pour enfants et cela mè donnait les moyens de vivre. Au même mo¬ ment j’aimais... ou je croyais aimer.
Son nom de militante était Anna Nicolaïevna.
Elle appartehait à une tendance modérée de notre Parti. J’ëxpliquais cela par la faiblesse de sa nature et la confusion des relations politiques dans notre pays ; bien .qu’elle fût plus âgée que moi, je la considérais 1,
comme un être encore indéterminé. En quoi je me trompais.
Peu de temps après notre union, la différence de natures se fit sentir de plus en plus péniblement pour nous deux et prit la forme d’un profond malentendu, -tant dans la concep¬ tion de noire > travail révolution¬ naire que dans la compréhension de notre .liaison personnelle.
Anna était venue à la révolution sous le signe du devoir et du sacri¬ fice, et moi, sous l’impulsion du plus libre désir. Elle se joignit au grand mouvement du prolétariat comme une moraliste qui trouvait là une haute satisfaction éthique et moi, en amoraliste qui, aimant simplement la vie, en voulait le plus large épa¬ nouissement. Pour Anna, l’éthique prolétarienne était sacrée en soi ; pour moi, c’était une utile adapta¬ tion, à la classe ouvrière dans sa lutte mais transitoire comme cette lutte elle-même et génératrice d’or¬ dre. Selon Anna on ne pouvait entre¬ voir, pour la société socialiste, qu’une réforme de la morale de classe pro- -létar-ienne existante dans l’humanité d’aujourd’hui ; je pensais que le pro¬ létariat va dès maintenant à la sup¬ pression de toute morale et que le sens social qui rend les hommes ca¬ marades dans le travail, la joie et la souffrance ne se développerait
tout h fait librement que lorsqu’on aurait rejeté le fétiche de la morale. De ces désaccords naissaient des contradictions dans l’appréciation des faits politiques et sociaux, contradic¬ tions qu’il était évidemment impos¬ sible de résoudre.
Nous nous , opposions avec plus d’acuité encore sur la façon d’envisa¬ ger nos relations personnelles. Anna croyait que l’amour oblige aux con¬ cessions, aux sacrifices et surtout à la fidélité tant que dure le mariage. En réalité, je ne songeais nullement à contracter de nouveaux liens mais ne pouvais admettre la fidélité préci¬ sément en tant qu'obligation. Je pla¬ çais même la polygamie plus haut que le mariage parce que susceptible d’enrichir la vie individuelle des êtres humains et de leur donner plus de variété dans la sphère des recher¬ ches. A mon sens, seules les contra¬ dictions de l’ordre bourgeois rendent à notre époque la polygamie en par¬ tie irréalisable, en font un privilège d’exploiteurs et de parasites, tous embourbé? dans une psychologie dé-, cadente ; là aussi l’avenir devra .ap- poMer une profonde réforme. De telles opinions indignaient cruelle¬ ment 'Anna, elle y voyait" un essai d’atténuer sous une forme idéale une conception sensuelle vulgaire de la
Et cependant, je ne prévoyais ni ne supposais l’imminence d’une rup¬ ture quard pénétra dans notre vie une influence étrangère qui hâta la séparation.
A cette époque arriva dans la ca¬ pitale un jeune homme portant un nom conspiratif insolite : Menni. Il apportait du Midi certaines instruc¬ tions prouvant qu’il jouissait de la pleine confiance des camarades. Ayant terminé sa mission, il résolut de rester quelque temps encore dans la capitale et vint souvent nous voir, manifestant une inclination visjble à se lier de plu? près avec moi.
C’était un homme original en tout, à commencer par l’apparence. Des yeux si bien masqués de sombres lunettes que je n’en connaissais même pas la couleur ; une tête grande et même disproportionnée ; les traits du visage jolis mais éton¬ namment immuables et indifférents, sans aucune harmonie avec une voix douce et expressive ; un corps bien bâti, souple et jeune. Sa parole était égale et libre, toujours pleine de sens, sa culture scientifique très di¬ verse ; selon toute vraisemblance, il était ingénieur de son métier.
Dans la conversation, Menni se montrait toujours enclin à relier lés questions personnelles et pratiques
Jl _ z _ xi
chez nous, je ne sais comment les incompatibilités de nature entre ma femme et moi surgissaient au pre¬ mier plan, et de façon si précise, que nous commencions à sentir doulou¬ reusement qu’elles étaient sans issue. Sa conception du monde était appa¬ rentée à la mienne ; il s’exprimait toujours sous une forme douce et prudente mais au fond, de manière d’autant plus tranchante et profonde. Il savait si habilement relier nos désaccords politiques aux différences essentielle? de nos conceptions, que ces désaccords apparurent psycholo¬ giquement inévitables, telles de sim¬ ples déductions logiques. Tout es¬ poir de s’influencer l’un l’autre, d’aplanir les contradictions et d’arri¬ ver à quelque chose de commun dis¬ parut. Anna nourrissait envers Menni une sorte de haine mêlée d’un vif in¬ térêt. Il m’inspirait une grande es* time et une vague méfiance : je sen¬ tais qu’il visait un certain but, mais lequel ?
(A suivre.)]
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N” 2. Feuilleton du Populaire, C-S-36
P _ fi! Alexandre Bogdanov |
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Traduit du russe par Colette Peignot
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Manuscrit Je Léonide
PREMIERE PARTIE I. — RUPTURE
Au cours d’une journée de janvier (c’était déjà fin janvier), il y eut dans les groupes dirigeants des deux tendances de notre Parti une délibé¬ ration sur un projet de manifestation populaire qui devait avoir pour issue
probable un choc à main armée. La veille au soir, Menni vint chez nous et nous posa la question de la parti¬ cipation à cette démonstration au cas où elle serait décidée par les chefs du Parti. Une discussion s’en¬ suivit qui prit vite un caractère brû¬ lant.
« Celui qui vote pour la manifes¬ tation, déclara Anna, est moralement tenu d'être aux premier rang. »
Je n’étais pas d’avi? que cela fût, en général, tout à fait obligatoire, mais plutôt que seuls doivent y aller les gens indispensables, ceux qui peu¬ vent se rendre vraiment utiles ; di¬ sant cela, je pensais justement a moi-méme, homme de quelque expé¬ rience en ces sortes d’affaires. Men¬ ni allait plus loin et assurait que, vu le heurt inévitable aveo la troupe, c’était, aux agitateurs des rues, aui meneurs professionnels d’être sur place pendant la bataille, nullement aux chefs politiques ; quant aux gens faibles ou' nerveux, Us pouvaient devenir même très, nuisibles, assu¬ rait-il, Anna, directement offensée par ces raisonnements qui lui sem¬ blaient dirigés en particulier contre elle, interrompit brusquement ia conversation et rentra dans sa cham¬ bre. Menni partit bientôt.
Le jour suivant, je dus me lever de bonne heure, sortir sans voir An¬
na et revenir seulement le soir. Le projet de manifestation avait été re¬ poussé par notre comité et aussi, comme je l’appris, par le cercle di¬ rigeant de l’autre tendance. J’en fus satisfait parce que je savais combien la préparation était insuffisante pour un conflit armé et j’estimais que d’une telle rencontre, il ne résulterait qu’une stérile perte de forces. Il me semble que cette décision devait at¬ ténuer l’irritation d’Anna... A la mai¬ son, sur ma table, je trouvai ce bil¬ let :
« Je pars ; plus je nous comprends l’un et l’autre, plus il devient clair pour moi que nos chemins sont dif¬ férents et que nous nous, sommes trompés. Mieux vaut ne plus nous revoir. Adieu. »
J’errai longtemps par lés rues, fa¬ tigué, avec une sensation dë vide dans la tête et de froid au cœur. Quand je rentrai chez moi, j’y trou¬ vai un hôte inattendu : Menni était assis à ma table et écrivait un mot»
II. - INVITATION
_ — Il me faut causer avec vous d’une affaire très sérieuse et quel¬ que peu étrange, dit Menni,
Tout m’était égal, je m’assis et m’apprêtai à écouter.
— J’aî lu votre brochure sur les électrons et la matière, commença-
t-il, j’ai étudié , moi-même cette question pendant quelques années et j’estime .qu’il y a beaucoup d’idées justes dans votre brochure.
Je m’inclinai en silence. Il conti¬ nua.
— Dans ce travail, une remarque m’intéresse particulièrement : vous émettez ia supposition que la théo¬ rie électrique de la matière, repré¬ sentant forcément la gravitation universelle sous l’aspect de quelque fonction des forces électriques at¬ tractives et répulsives, doit amener à la découverte -de l’attraction sous une autre forme, c’est-à-dire à l’ob¬ tention d’un certain type de matière repoussé et non attiré par la terre, le soleil et les autres corps connus: vous avez indiqué, à titre de compa¬ raison, le diamagnétisme de la ré¬ pulsion des corps et la répulsion des courants parallèles de différentes directions. Tout cela est dit entre parenthèses, mais je crois que vous y ai tachez plus d’importance que vous ne voulez le montrer.
— Vous avez raison, répondis-je, et je pense que. dans cette voie, l’humanité résoudra comme un pro¬ blème le libre déplacement aérien, ainsi que la question des communi¬ cations interplanétaires. Mais, juste ou non, cette, idée reste absolument stérile tant qu’il n’y a pas une théo¬
rie exacte de la matière et de la pe¬ santeur. Si un autre type de matière existe, ori ne peut le trouver tout simplement : en vertu de la force de répulsion, il est depuis longtemps disparu de tout le système solaire, à supposer même qu’il soit jamais en¬ tré dans sa composition lorsqu’il s’élaborait sous forme de brouillard. Cela signifie qu’il faut encore cons¬ truire en théorie ce type de matière et ensuite le reproduire en pratique. 11 n’y a aucune donnée suffisante pour cela actuellement, on ne peut, eu substance, que poser un tel pro¬ blème.
— Il n’en est pas moins vrai que ce problème est résolu, dit Menni.
•Je le regardai, stupéfait. Son vi¬ sage était comme toujours immobile, .mais son accent interdisait de le prendre pour un charlatan.
« Peut-être est-il fou ? » Cette idée me traversa l’esprit.
— Je n’ai aucun intérêt à vous tromper et sais fort bien ce que je dis. reprit-ii, comme pour répondre à ma pensée. Ecoutez-moi patiem¬ ment et ensuile, s’il le faut, je vous montrerai les preuves. Et il raconta ce qui suit :
— La grande découverte dont il est question n’a pas été accomplie par un individu isolé. Elle appartient à toute une société scientifique qui
existe depuis assez longtemps et qui à longuement travaillé dans cette direction. Cette société était secrète, jusqu’à présent, et je ne suis pas au¬ torisé à vous faire connaître de plus près son origine et son histoire tant que nous n’avons pas abouti à une entente sur l’essentiel.
« Notre association a devancé le monde académique dans de nom¬ breuses questions, scientifiques im portantes. Les éléments du radium et leurs délitescences nous étalent connu? bien avant Curie et Ramsay, et nos camarades sont parvenus à pousser beaucoup plus loin l’analyse de la composition de la matière. Sur cette voie, on a entrevu la possibi¬ lité de l’existence des éléments re¬ poussés par les corps terrestres, en¬ suite on ,a élaboré la synthèse de cette « matière-moins » comme nous l’avons sommairement définie.
« Après oela, il était déjà plus facile d’élaborer et de réaliser les applica¬ tions tèchniques de oett* découverte, en premier lieu : les appareil? vo¬ lants pour les déplacements dans l atmosphère terrestre, puis pour les communications avec d’autre? pla- nètés. »
Malgré le ton calmement convain¬ cu de Menai, son récit me parut par trop étrange et invraisemblable.
— Et vous avez pu exécuter tout,
cela en gardant le secret ? observai- je, interrompant son récit.
— Oui, parce que nous le considé¬ rons de la plus haute importance. Nous pensons qu’il eût été très dan¬ gereux de divulguer nos découvertes scientifiques tant que subsistent, dans la majorité de? nations, des gouvernements réactionnaires. Et vous, révolutionnaire, russe, devez être plus que quiconque d’accord avec nous. Voyez comme votre em¬ pire asiatique utilise les moyens de. communications européens et tous les moyens d’extermination pour étouffer et extirper ce qu’il a chez vous de vivant et de progressif. Con¬ naissez-vous beaucoup de gouverne¬ ments meilleur? .que celui de cette nation mi-féodale, mi-cohstitution- [ nelle, dont le trône est occupé par un imbécile belliqueux et bavard que guident des aventuriers avérés? Et que valent même les républiques bourgeoises d’Europe ? Or, il est clair que si nos machines volantes co‘inues, le? gouvernements s ef forcera lertt avant tout d’en saisir le monopole et ae les utiliser pour renforcer le pouvoir et la puissance des classes dominantes. Cela, nous ne le voulons pas et c’est pourquoi nous gardons le monopole, en attendant des conditions plus favorables.
(A suivre.X
N° 3. Feuilleton du Populaire. 7-8-36.
5 Alexandre Bogdanov S
L'ETOILE
ROUGE
Traduit du ru?se par Colette Peignot
I II 1
Manuscrit de Léoni
PREMIERE PARTIE H. - INVITATION
— Vous est-il réellement arrivé d’atteindre d’autres planètes ? de¬ mandai-je.
— Oui, les deux plus proches pla¬ nètes telluriques, Vénus et Mars, sans compter la Lune morte. Nous travaillons actuellement à leur ex¬
ploration détaillée. Nous avons tous les moyens indispensables, mais il nous faut des gens forts et sûrs. Muni nos pleins pouvoirs de mes ca¬ marades, je vous propose d’entrer dans nos rangs, bien entendu avec tous les droits et obligations que cela impliquerait.
Il s’arrêta, attendant la réponse.. Je ne savais que penser.
— Les preuves 1 dis-je, vous avez promis de me montrer les preuves.
Menni tira de sa. poche un flacon de verre contenant une sorte de li¬ quide métallique que je pris pour du mercure. Mais, chose étrange, ce li¬ quide qui n’emplissait pas plus du tiers du flacon, se trouvait non au fond, mais dans la partie supérieure, autour du goulot et dans le goulot, jusqu’au bouchon même. Menni re¬ tourna le flacon et le liquide coula au fond c’est-à-dire tout droit en haut. Menni lâcha des mains la fiole et elle se tint en suspension dans l’air. C’était incroyable, mais indubi¬ table et visible.
— Ce flacon est de verre ordinaire, expliqua Menni, il contient un liqui¬ de repoussé par les corps du système solaire. On y a versé juste ce qu’il faut pour équilibrer le poids du fla¬ con, de sorte que l’un et l’autre en¬ semble ne pèsent rien. C’est par ce moyen que nous obtenons les appa¬
reils volants : ils sont faits de maté¬ riaux ordinaires, mais comportent un réservoir plein d’une quantité suffisante de « matière du type né¬ gatif ». Reste à communiquer à ce système impondérable la vitesse re¬ quise du mouvemenE Pour les ma¬ chines volantes terrestres, on adapte de simples moteurs élctriques à ai¬ lettes; pour les déplacements inter¬ planétaires, ce procédé ne vaut rien et nous utilisons une méthode tout à fait différente que je vous ferai connaître de plu? près dans la suite.
11 n’y avait plus aucun doute.
— A part le secret obligatoire, qtielles obligations impose votre so¬ ciété à ses adhérents ?
— Mais, pour ainsi dire, aucune, ou presque. Ni la vie personnelle, m l’activité publique des camarades ne sont génée? en rien, pourvu qu'elles ne nuisent pas à l’œuvre de la so¬ ciété dans son ensemble. Mais cha¬ cun doit accomplir, dès son adhésion, quelque mission importante et res¬ ponsable. D’une part, c’est un moyen de resserrer ses liens avec la société, d’autre oart, de juger des aptitudes et de l’énergie manifestée dans le tra¬ vail.
— Alors,’ à moi aussi, une telle mission me sera proposée dès. main¬ tenant ?
— Oui.
— Et. laquelle ?
— Vous devez prendre part à l’ex¬ pédition du grand aéfonef qui se dirigera demain vers la planète Mars.
— L’expéditio’n sera-t-elle de lon¬ gue durée ?
— On l’ignore. L’aller et le retour à eux seuls ne demandent pas moins de cinq mois. On peut aussi ne ja¬ mais revenir.
— Je le comprends et il ne s’agit pas de cela. Mais qu’ad viendra-t-il de mon travail révolutionnaire 7 Vous êtes vous-même socialiste et vous comprendrez mon embarras.
— Choisissez. Nous estimons qu’un arrêt dans le travail est indis¬ pensable à l’achèvement de votre préparation. La mission ne peut être ajournée. Sfy refuser, c’est se refu¬ ser à tout.
Je réfléchis. Avec l'entrée en ac¬ tion de grandes masses populaires, la mise à l’écart d’UD militant quel¬ conque est un fait insignifiant pour le parti dans son ensemble. De plus, cet éloignement serait temporaire et, rendu à l’action, je serais beaucoup plus utile au paru avec mes nouvel¬ les relations, mon savoir accru et mes moyens. Je me décidai.
— Quand dois-je partir ?
— Immédiatement, avec moi.
, — Vous nie donnerez deux heures
pour prévenir les camarades ? Je dois trouver un remplaçant pour de¬ main à la section.
— C’est presque fait. André est ar¬ rivé aujourd’hui, fuyant le Midi. Je 1 ai prévenu de votre départ possible et il est prêt à prendre votre place. En vous attendant, je fui écrivais, à tout hasard, une lettre contenant des instructions détaillées. Nous pouvons la lui déposer en chemin.
Il n’v avait plus à épiloguer. le détruisis rapidement les papiers su¬ perflus, écrivis un mot à ma pro- piiétuire et m’habillai. Menni était déjà prêt.
— Ainsi, nous partons. A dater de cette minute, je suis votre prison¬ nier.
— Vou? êtes mon camarade 1 ré¬ pondit Menni.
III. - NUIT
L'appartement de Menni occupait le cinquième étage d’un grand im¬ meuble isolé au milieu des maisons basses d’UD des faubourgs de la capi¬ tale. Personne ne vint à notre ren¬ contre. Nous traversions des cham¬ bres vides et, à la brillante lumièrr des lampes électriques, ce vide sem¬ blait particulièrement triste. Dans la troisième pièce, Menni s’arrêta.
— Ici — il ûiontra la porte de la quatrième chambre — se trouve la
nacelle volante dans laquelle nous allons rejoindre le grand aéronef. Mais auparavant, je dois subir une petite transformation. Sous ce mas¬ que, il me serait difficile de con¬ duire la nacelle.
Il défit son col et enleva, en mê¬ me temps que ses lunettes, le mas¬ que étonnant que j’avais pris pour son visage. Je fus consterné de ce que je découvris alors. Sos yeux étaient monstrueusement énormes, comme jamais on ne vit d’yeux hu¬ mains. Leurs pupilles étaient dila¬ tées, même par rapport à la grau- dc-ur extraordinaire des yeux, ce qui rendait leur expression ‘ presque effrayante. La partie supérieure du visage et de la tête était large à proportion ; au contraire, le bas de la figure, sans aucune trace de bar¬ be ni de moustache, était relative¬ ment petite. Tout l'ensemble produi¬ sait une impression d’extrême ori¬ ginalité, plutôt monstre que carica¬ ture. ,
— Vous voyez de quel aspect m’a revêtu la nature, dit Menni : vous comprenez que je doive le cacher, ne serait-ce que pour ne pas effrayer les gens, sans parler même des exi¬ gences de la conspiration. Mais il faudra vous habituer à ma laideur; par nécessité, vous passerez beau¬ coup de temps avec moi.
Il ouvrit la porte de la pièce sui¬ vante et donna de la lumière. C’était une vaste salle. Au milieu se trou¬ vait une sorte de barque, petite et assez large, faite de métal et de ver¬ re. A l’avant, les bords et le fond étaient en verre avec des traverses d’acier ; celle paroi transparente de deux centimètres d'épaisseur parais¬ sait très solide. Sur les bords, deux plaques de cristal, reliées en angle aigu, devaient fendre l’air et préser¬ ver du vent les passagers par gran¬ de vitesse. La machine occupait la partie centrale du canot. Une hélice à trois palets d’un demi-mètre de largeur se trouvait à . la poupe. La moitié avant du canot, ainsi que la machine, étaient recouvertes d’une mince plaque fixée, 'lel un rideau, à l’armature métallique des bords en verre et à une fine colonne d'acier. Tout l’ensemble était délicat et joli comme un jouet.
Menni m’invita à m'asseoir sur la banquette latérale de la gondole, il éteignit la lumière électrique et ou¬ vrit l’énorme fenêtre de la salle. Lui-même s’assit à l’avant, près la machine, et jeta quelques sacs dé lest qui se trouvaient au fond de la barque. Ensuite, il posa la main sur un levier. L’esquif se balança, s’éle¬ va avec douceur et. glissa lentement par la fenêtre ouverte.
(A suivre.),
N° 4. Fèuilleton du Populaire. 8-8-36
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III. - NUIT |
J’étais assis, comme cloué, n’osant remuer. Le bruit du vent devenait plus fort, l'air froid de l’hiver s'en¬ gouffrait sous le pare-brise, rafraî¬ chissait agréablement mon visage brûlant, mais sans pouvoir pénétrer spuî mgn manteau chaud, Au-dessus
de nous scintillaient, miroitantes, des milliers d’étoiles et au-dessous... Je voyais à travers le fond transpa¬ rent de la nacelle les taches noires des maisons rapetisser et les points brillants des réverbères électriques s’éloigner dans le lointain, tandis que les plaines s’éclairaient, très au-des¬ sous de nous, de cette lumière mate et bleue de neige. Le vertige, d’abord léger, presque agréable, augmentait, et je fermais les yeux pour l’éviter.
L’air se raréfia, le bruit et le sif¬ flement du vent s’accrurent. Bien¬ tôt, parmi ces bruits, mon oreille distingua un son léger, argentin, in¬ interrompu et très égal. C’était, la paroi de verre qui vibrait en fen¬ dant l’air. L’étrange musique sub¬ mergeait la conscience, les pensées se confondaient et disparaissaient ; seule demeurait la sensation de ce mouvement élémentaire, léger et li¬ bre, m’emportant quelque part et toujours plus avant dans l’espace in¬ fini.
— Quatre kilomètres à la minute, dit Mèhni. J’ouvris les yêux.
— C’est encore loin ? demandai- je.
— Environ une heure* dé trajet au-dessus d’un lac gelé.
Nous nous trouvions à une hau¬ teur de quelques centaines dè mé¬ trés st le çânot volait horizontale¬
ment, sans s’abaisser ni s’élever. Mes yeux étaient accoutumés à l’obscu¬ rité et je voyais tout plus distincte¬ ment. Nous arrivions dans une ré¬ gion de lacs et de rocs granitiques. Ces rocs noircissaient .par endroits sans neige et de petits villages étaient agglutinés tout autour.
A gauche, nous laissions, dans le lointain, le champ neigeux d’un gol¬ fe gelé ; à droite, les plaines blan¬ ches d’un lac immense... C’est. sur cet inerte paysage d’hiver qu’il me fut donné de rompre mes liens avec la vieille terre. Et soudain, je sentis sans plus aucun doute- et avec une véritable certitude que c’était une rupture à jamais...
(La nacelle s’abaissa, lentement au milieu des rochers, dans la petite anse d’un lac de montagne, devant de sombres constructions émergeant de la neige. On ne voyait ni fenê¬ tres ni portes. Une partie de la pa¬ roi métallique du bâtiment glissa lentement de côté, découvrant un orifice noir par lequel pénétra no¬ tre nacelle. Puis, l’ouverture se fer¬ ma de nouvéau et l’espace dans le¬ quel nous nous trouvions s’éclaira d’unè lumière électrique. C’était une grande pièce longue sans meubles j par terre se trouvaient en quantité dés sacs de lest.
Ménpi fixa la nacelle à un poteau
spécialement destiné à cet usage et ouvrit l’une des portes latérales. Elle menait à un long corridor à demi éclairé. Des cabines étaient dispo¬ sées sur les côtés, Menrii m’amena dans l'une délies et dit :
— Voici votre cabine. Installéz- vous ; quant à moi, je vais à la sec¬ tion des machines, nous nous re¬ verrons demain.
J’étais heureux de rester seul. A travers toute l’excitation produite par les étranges événements de la soirée, la fatigue se faisait sentir ; je ne touchai pas au souper préparé pour moi sur la table et, éteignant Fa lampe, je me couchai. Lés pen¬ sées s’embrouillaient absurdement dans ma tête, passant d'un sujet â l’autre de la manière la plus inatten¬ due. Je m’astreignis opiniâtrement à m’endormir, mais ce fut long. En¬ fin je perdis conscience : des ima¬ ges fugitives et tumultueuses se pressaient nombreuses devant mes yeux. L'entourage s'effaça et de péni¬ bles rêves envahirent mon cerveau.
Une série de songes, s'achéva sur un terrible cauchemar. Je me . trou¬ vais au bord d’un immense gouffre noir au fond duquel scintillaient les étoiles, et, Menni,. d’unè force invin¬ cible, m’attirait en bas, disant qu’il ne faut pas craindre la loi de pe¬ santeur et que, dans quelque cent
mille ans de chute, nous atteindrions les plus proches étoiles. Je gémis au cours d’un cruel combat final et m’éveillai.
Une douce lumière bleu clair emplissait ma chambre. A mon côté, assis sur le lit et penché vers moi, se trouvait... Menni ? Oui, lui, mais étrange, fantomatique et tout autre : il me semblait beaucoup plus petit et ses yeux ne ressortaient plus aussi sévèrement de son visage, Il avait une expression tendre, bonne, et non pas. froide et inexorable com¬ me tout à l’heure encore au bord de l’abîme.
— Que vous êtes bon, articulai-je, .troublé, prenant conscience de ce changement.
Il sourit, et posa la main sur mon front. C’était une main petite et douce. Je fermai à nouveau les yeux et avec l’extravagante pènsée que je devais baiser cette main, je m’ou¬ bliai dans un sommeil calme et bien¬ heureux.
IV. — EXPLICATION
QuanH je m'éveillai et éclairai la chambre, la montre marquait dix heurèè. Ayant terminé ma toiletté, je pressai uû bouton ; une minuté après, Menni entra.
— Nous' partons bientôt ? demân- dai-jé. " ■ ' - : '
— , Dans une heure, répondit. Menni.
— Etes-vous passé me voir cette nuit, ou bien ai-je rêvé ?
— Non, ce n’était pas un rêve ; mais ce n’est pas moi qui suis venu, c'est notre jeune docteur Netti. Vous aviez un sommeil agité et il a dû vous endormir au moyen de la lu¬ mière bleue et de la suggestion.
— 11 est votre frère ?
— Non, dit Menni en souriant.
— Vous ne m’avez pas encore dit quelle est votre nutionalité... Vos camarades sont-ils du même type que vous ?
— Oui, répondit Menni.
— Alors, vous m’avez trompé, déclarai-je d’un ton brusque : il ne s'agit pas d’une société scientifique, mais de quelque chose d’autre ?
— Oui, dit calmement Menni. Nous sommés tous habitants d’une autre planète, représentants d’une autre humanité. Nous sommes Martiens.
— Pourquoi dons m’avez-vous trompé ?
— M’auriez-vous écouté si je vous avais dit d’un coup toute la vérité ? J’avais trop peu de temps pour vous convaincre. Il a bien fallu déguiser la vérité au nom de la vraisemblan¬ ce. Sahs cette phase transitoire, vo¬ tre conscience eût été -bouleversée -au delà de toute mesure. Jè voué ai
dit la vérité sur l’essentiel : ' en ce qui concerne;, le, présent voyage. .
— Donc, jé suis votre prisonnier?
- — Non, vous êtes maintenant en¬ core tout à fait libre. Vous avez une heure pour résoudre la question.. Si-, d'ici là vous vous ravisez, nous vous ramènerons en arrière et ajourne-* rons le voyage parce que nous:- n’avons aucune raison- de rentrer' seuls maintenant.
— Pourquoi donc avez-vous be¬ soin de moi ?
— Pour servir de lien vivant en¬ tre l’humanité terrestre et la nôtre, : pour vous montrer l’organisation de notre vie. et faire connaître de plus près votre organisation terrestre aux Martiens,, pour être, tant què vôu^ le désirerez, le représentant de votre*; planète dans notre monde- — Est-ce là toute la vérité ?• -.
— Qui,- toute, si vous vous recon¬ naissez de force à tenir ce rôle. ' " — En ce cas, il faut essayer. ' Je . reste avec vous. ,
— C’est, là votre résolution défi¬ nitive ? demanda Menai. <’
— Oui, si votre dernière explica¬ tion né présente plus aucune sorte’ ’ de... phase transitoire.
CA suivre.)
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5. Feuilleton du Populaire. 9-8-36.
a Alexandre Bogdanov S
L'ETOILE
ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignot
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Manuscrit de Léonide
~ PREMIERE PARTIE IV. — EXPLICATION
— Ainsi, partons, dit Menai sans prêter attention à mon sarcasme. Je vais maintenant donner les dernières instructions au mécanicien, ensuite je reviendrai vers vous et nous irons ensemble surveiller les ultimes pré¬ paratifs de l'aéronef.
Il sortit, me laissant à mes ré¬ flexions. Au fond, noire explication n’était pas pjeineriient terminée. Il restait encore’une question assez sé¬ rieuse que je ne me décidai pas à poser à Menni. Pllait-il conscient d’avoir contribué à ma rupture avec Anna Nicolaïevna ? Oui, me sem¬ blait-il. Il avait vu en elle un obs¬ tacle à son but. Peut-être avec rai¬ son. En tout cas, il ne fit que hâter cette rupture et non la susciter. Naturellement, ceja même était une immixtion bien osée dans mes affai¬ res personnelles- Mais maintenant, déjà lié à Menni, je devais ën tout état de cause, refréner mon animo¬ sité envers lui. Aussi eût-il été vain de remuer le passé, mieux va¬ lait n’y plus songer.
En général, la nouvelle tournure des choses ne me frappait pas : le sommeil avait raffermi mes forces, et après lotit ce que j’avais vécu la veille, il m’était assez difficile dé m’étonner de quoi que ce fût. Je sentais le besoin d’élaborer un plan dactions futures.
Le problème consistait à s’adapter le plus tôt et le mieux possible aux nouvelles circonstances. Le mieux serait d’aller pas à pas, du proche nu lointain. iLe proche, c’était 1 aéronef, ses habitants et le voyage commencé. Mars était encore loin : au mini¬
mum à deux mois de distance, d'après Menni.
L’aspect ' extérieur de l’aéronef rn'était apparu dès la veille : une' sorte de boule avec un segment à la base, à la manière de l’œuf de Christophe Colomb. Cette forme avait, été calculée naturellement pour obtenir le plus grand volume avec la moindre surface, c'est-à-dire la plus stricte dépense de matériaux et la moindre surface de réfrigéra¬ tion. Quant aux matériaux, l’alumi¬ nium et le verre semblaient domi¬ ner. Menni devait me montrer l’ar¬ rangement intérieur et aussi me' faire connaître tous les autres « monstres », comme j’appelais men¬ talement mes nouveaux camarades.
Revenu près de moi, Menni m’em¬ mena vers les Martiens. Ils étaient réunis dans une salle latérale. Une immense fenêtre de cristal occupait la moitié du mur. La lurqière du so¬ leil me fut très agréable après l’éclairage artificiel de? lampes élec- liiques. Ils étaient vingt Martiens et, tous me parurent avoir le même visage. L’absence de barbes, de moustaches et même de rides sur leurs figures. aplanissait presque les différences d’àge-Des yeux je suivais Menni pour ne pas le perdre dans cette société étrangère. Cependant, je remarquai bientôt parmi eux mon
visiteur nocturne, Netti, se distin- gant par sa jeunesse et sa vivacité, et aussi un géant aux larges épaules, Sterni, qui me frappait par une ex¬ pression singulièrement froide et presque mauvaise. A part Menni, seul Netti me parlait en russe, Sterni et trois ou quatre autres parlaient français, d’autres anglais ou alle¬ mand ; entre eux ils s’exprimaient dans un langage tout nouveau pour moi, évidemment leur langue ma¬ ternelle. Cette langue était belle et sonore ; je constatai avec plaisir qu’elle ne présentait aucune diffi¬ culté particulière de prononciation.
V. — DEPART
Encore que les (> monstres » fus¬ sent très intéressants, mon attention se portait, malgré moi, vers le mo¬ ment solennel du proche départ. Je regardai fixement la surface nei¬ geuse qui se trouvait devant nous et le mur vertical de granit dressé derrière elle. J’étais dans l’attente et, tout à coup, je sentis une brusque secousse... Tout se mit à briller en s’éloignant de nous. Je n’avais rien attendu de semblable.
Un mouvement silencieux, lent, à peine sensible, nous éloigna peti a peu de la neige. Durant quelques ins¬ tants, la montée fut presque imper¬ ceptible.
— Accélération de deux centimè¬ tres, dit Menni.
Je compris ce que cela signifiait. A la première seconde nous devions fianchir un centimètre; à la deuxiè¬ me, trois; à la troisième, cinq; à la quatrième, sept centimètres ; et la vitesse devait croître sans disconti¬ nuer selon la progression arithmé¬ tique. En une minute,- nous devions atteindre l’allure d’un homme au pas ; en quinze minutes, celle d’un train express, etc.
Nous nous mouvions d’aiprè? la loi de la chute des corps, mais montions en l'air cinq cents fois plus lente¬ ment que des corps lourds ordinal- j res ne tombent à la surface de la terre.
. La plaque de verre de la fenêtre parlait du plancher même en for¬ mant un angle obtu? conforme à la surface sphérique de l’aéronef dont elle constituait une des parties. Grâce à cela nous pouvions, en nous pen¬ chant en avant, voir ce qui se trou¬ vait immédiatement au-dessous de nous.
La terre s’éloignait toujours plus vite et l’horizon s’élargissait. Les taches sombres des rochers et des villages diminuaient, le contour des lacs se dessinait comme sur un plan. Le ciel devenait de plus en. plus som¬ bre et tandis qu'une ceinture bleue
de mer éternelle occupait tout le côté ouest de l'horizon, mes yeux distin- guaint déjà les plus brillantes étoiles à la lumière solaire de midi.
Le mouvement giratoire très lent de l’aéronef autour de son axe verti¬ cal nous permettait de voir tout l’es¬ pace alentour.
11 nous semblait que l’horizon s’éle¬ vait a\ee nous, l’aire terrestre au- dessous de nous représentant une énorme soucoupe concave avec des ornements en relief. Les contours de¬ vinrent plus fins, le relief plus plat, tout le paysage prit, dans la plus large mesure, l’aspect d'une carte de géographie dont le tracé eût été vi¬ goureux au milieu, mal défini et con¬ fus sur les bords couverts d'un brouillard mi-transparent et bleu¬ âtre. Le ciel devint tout à fait noir et d’innombrables étoiles, même les plus infimes, brillaient d’une lumière calme et immobile sans craindre le soleil éclatant dont les rayons deve¬ naient brûlants à faire mal.
— Dites-moi, Menni, cette accélé¬ ration de deux centimètres avec la¬ quelle nous nous élevons mainte¬ nant se poursuivra-t-elle tout le long du voyage.
— Oui, répondit-il, seulement, au milieu du trajet la direction sera changée en sens inverse, alors la vi¬ tesse n’augmenitera plus mais dimi¬
nuera à chaque seconde dans la mê¬ me mesure. De cette manière, bien que la plus grande vitesse de l’aéro¬ nef soit d’environ cinquante kilomè¬ tres à la seconde et la vitesse moyenne d’environ vingt-cinq kilo¬ mètres, au moment de l’arrivée elle, sera aussi réduite qu’au début même du voyage et, sans aucun choc, sans aucune commotion, nous descendrons sur la surface de Mars. Sans ces con¬ sidérables changements de vitesse, nous ne pourrions atteindre ni la Terre, ni Vénus, parce que s’il fal¬ lait franchir même leur moindre distance (soixante et cent millions de kilomètres) à la vitesse de vos trains, par exemple, on n’y parvien¬ drait qu’eu un siècle et non en un mois comme nous le ferons avec vous. Quant ati moyen du « coup de canon » dont il est question dans vos ronmns fantastiques, c’est naturelle¬ ment pure plaisantorio parce que, d’après les lois de la mécanique, en pratique, cela revient au même de se trouver à l’intérieur du boulet lors du tir ou de le recevoir.
— Mais par quels procédés obte¬ nez-vous une progression et une dé¬ gression aussi égales ?
(A suivre.)
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N° 0. Feuilleton du Populaire. 10-S-26.
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Manuscrit de Léonide
PÜËMÏËHË PARTIE V. — DEPART
— La force de propulsion de aéronef est l'un des éléments ra¬ diants que nous extrayons en grande quantité. Nous avons trouvé le moyen de précipiter la décomposi¬ tion de cet élément au cent mil¬
lième : cela s’opère dans nos mo¬ teurs à l'aide de procédés électro- chimiques assez simples, l’ar ce moyen, on libère une énorme quan-' tité d’énergie. Les parcelles désagré¬ gées des atonies se dispersent, com¬ me vous le savez, à une vitesse qui dépasse dix mille lois celle des pro¬ jectiles d’artillerie. Quand ces par¬ celles peuvent s’échapper dans une seule direction déterminée, c’est-à- dire par un canal à parois étanches pour elles, tout l’aéronef se meut en sons inverse, comme au recul d’un fusil ou d’un canon. D’après la loi connue des forces vivantes, vous pouvez facilement calculer qu’une partie infinitésimale d’un milligram¬ me de telles parcelles, à la seconde, soit pleinement suffisante pour don¬ ner à notre aéronef son allure uni¬ formément accélérée.
Pendant la conversation, les Mar¬ tiens disparurent de la salle. Menni me proposa d’aller prendre le petit déjeuner dans sa cabine. Je le suivis. Sa cabine atteiiait à la paroi de l’aéronef, elle avait une grande vitre de cristal. Nous continuâmes l’entre¬ tien. Je m’attendais à éprouver des sensations nouvelles et inexpérimen¬ tées, telle que la perte de pesanteur rie mon corps, et je questionnai Mon- ni à ce sujet.
— Oui, dit-il, bien que le soleil
continue de nous attirer, son action est nulle ici. L’influence de la terre deviendra à peine sensible demain, après-demain. Mais grâce à l’accélé¬ ration régulière de l’aéronef, nous conserverons 1400-1500 de notre poids précédent. La première fois, il n’est pas facile de s’habituer à cela, bien que la transformation s’opère très graduellement. Acquérant do la légèreté, vous perdrez de l'habileté, vous ferez quantité de faux mouve¬ ments qui vous mèneront à côté du but. Le plaisir de voler vous appa¬ raîtra tout à fait douteux. En ce qui concerne les battements de cœur, les vertiges inévitables et môme les nausées, vous en serez soulagé avec l’aide de Netti'. I! sera également dif¬ ficile de manier l’eau et les autres li¬ quides qui, aux moindres secousses, s'échappent des récipients et se ré¬ pandent partout en énormes goutte? sphériques. Mais nous avons soigneu¬ sement tout aménagé pour écarter ces inconvénients: le mobilier et la vaisselle sont fixés à leurs places, les liquides se conservent bouchés, partout sont disposées des poignées et des courroies pour arrêter les en¬ vols involontaires lors de mouve¬ ments brusques. Vous aurez le temps de vous accoutumer à tout cela.
Depuis le départ, . deux heures s'étaient écoulées et la diminution
de pesanteur était déjà assez sensi¬ ble bien que très agréable: le corps devenait plus léger, les gestes plus libres, et rien do plus. Nous avions réussi à dépasser complètement l'at¬ mosphère et cela ne nou?, inquiétait pas puisque dans notre navire her¬ métiquement clos se trouvait une provision suffisante d’oxvgènç. Lu surfaco visible de la terre ressem¬ blait décidément à une carte de géo¬ graphie, mais à échelle embrouillée: plus réduite au centre, plu? large à l’horizon; ça et là, de blanches ta¬ ches de nuages la cachaient. Au sud, derrière la Méditerranée, le nord de. l’Afrique et de l’Arabie était clai¬ rement visible h travers uné nuée bleue; au nord, au delà de la fé’can- dina\io, le regard se perdait dans un désert de neige et de glace; seuls le? rochers du Spilzberg se déta¬ chaient encore en tache sombre. A l’Orient, par delà la ceinture vert sombre de l’Oural, commençait à nouveau l’empire absolu de la cou¬ leur blanche avec certains reflux verdoyants, faible souvenir des im¬ menses forêt? de pins do Sibérie. A l’occident, derrière les clairs con¬ tours de l’Europe Centrale, le dessin des côtes d’Angleterre et de Fra*nce se perdait dans la brume. Je ne pus regarder longtemps ce tableau gigan¬ tesque, car l’idée de la profondeur
terrible, de l’abîme au-dessus, duquel nous étions faisait naître en moi une sensation proche de l’évanouisse¬ ment. Je ranimai la conversation avec Menni.
... Vous êtes le capitaine de ce na¬ vire, n’est-ce pas ?
Menni répondit d’un signe de tête et ajouta :
... Cela ne veut pas dire que j'aie Ce que vous appelez chez vous le pouvoir d’un chef. Je suis simple¬ ment plus expérimenté pour diriger l’aéronei et l’on adopte mes directi¬ ves comme j’adopte les calculs as¬ tronomiques faits par Sterni ou com¬ me nous adoptons tous le? conseils médicaux de Netti pour maintenir notre santé et notre capacité de tra¬ vail.
— Et quel âge a ce jeune docteur Netti ? Il me paraît bien jeune.
— Je ne me souviens pas. 16 ou 17 ans, répondit Menni en souriant.
C’est à peu près ce qu’il m’avait semblé. Mais je ne pus cacher mon étonnement d’une science si précoce.
— A cet âge, être déjà médecin I m'exclamai-je involontairement.
— Et ajoutez; médecin de scien¬ ce et d’expérience, surenchérit Men¬ ni.
A ce moment, je ne calculais pas, et Menni à dessein ne me rappelait pas, que les années des Martjens sont
presque deux fois plu? longues que les nôtres : Mars tourne autour du soleil en 686 jours, et les seize ans de Netti équivalaient à trente années terrestres.
VI. — L’ETHERONEF
Après le petit déjeuner, Menni m'emmena visiter notre « navire ». Nous nous dirigeâmes d’abord vers la section des machines. Elle occu¬ pait l’étage inférieur, attenant direc¬ tement au fond plane de l’aéronef, et se divisait en cinq chambres : l’une centrale et quatre latérales. Un propulseur se trouvait au milieu de la pièce centrale et, tout autour, aux quatre coins, quatre vitres rondes étaient disposées dans le sol, l’une en pur cristal, trois en verre de dif¬ férentes couleurs. Ce? vitres éton¬ namment transparentes avaient trois centimètres d’épaisseur. A ce mo¬ ment, nous ne pouvions voir, au tra¬ vers, qu’une portion de l’écorce ter¬ restre.
La partie fondamentale de la ma¬ chine se composait d’un cylindre mé¬ tallique vertical de 1 rois mètres de haut ?ui\un demi-mètre de diamètre, fait, comme me l’expliqüa Menni, cl’osmtum, précieux métal fusible et parent du platine. Dans ce cylindre, ?e produisait une désagrégation de la matière radiante ; ies parois,
épaisses de vingt centimètres et chauffées au rouge, témoignaient clairement de l'énergie ‘du processus. Et cependant, la chaleur restait sup¬ portable dans la pièce : tout le cylin¬ dre était entouré d’un fourreau deux fois plus Jauge fait d’une certaine matière transparente protégeant a merveille ; dans le haut, ce fourreau était relié à des tuyaux par lesquels l’air chaud se .répandait de tous cô¬ tés pour le chauffage uniforme de lëthéronef.
Les autres parties de la machine, reliées par différents moyens au cy¬ lindre — _ bobines électriques, accu¬ mulateurs, manomètres, etc. — étaient disposées autour, dans un ordre esthétique, et le mécanicien de service les voyait foutes à la fois sans bouger de son fauteuil grâce à un système de miroirs.
(A suivre.)
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L'ETOILE
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■ par Colett^eignot «
Manuscrit de Léonide
*7 PREMIERE PARTIE VI. — L’ETHEHONEF Quant aux pièces latérales, l’une était la chambre « astronomique ». 4 droite et à gauche les chambres « à eau » et « à oxygène », du côté op¬ posé la chambre « des calculs». Dans la première, un sol et un mur exté¬
rieur faits tout entiers de cristal, d’un verre géométriquement taillé et d’une propreté idéale. Leur transpa¬ rence était telle que lorsque, sui¬ vant Menm sur la passerelle aérien¬ ne, je me décidai à regarder directe¬ ment en bas, je ne vis rien entre moi et l’abime ; je dus fermer les yeux pour éviter un vertige intolérable. Je m’efforçai de regarder de côté, vers les instruments disposés dans les intervalles du réseau de passe¬ relles et sur des supports compliqués qui descendaient au plafond et des murs intérieurs de la chambre. Le télescope principal, d’environ deux mètres de long, avait un objectif d'une grandeur disproportionnée, de même, visiblement, que sa force d’optique.
— Nous n’utilisons que des len¬ tilles de diamant, dit Menni, elles donnent un plus grand champ visuel.
— Quel est le grossissement habi¬ tuel de ce télescope ? demandai-je.
— Un grossissement net d’environ six cents fois, mais quand il est in¬ suffisant. nous photographions le champ visuel et examinons le cliché au microscope. Par ce moyen, l’a¬ grandissement est porté en fait jus¬ qu’à soixante mille et plus; le re¬ tard causé par la photographie n’est môme pas d’une minute.
Menni me proposa de jeter un coup d œil à l'instant même sur la Terra que nous avions quittée. Il orienta lui-même la lunette.
— ■ La distance est maintenant d’en¬ viron deux mille kilomètres, dit-il. Reconnaissez-vousce qu’il y a de¬ vant vous ?
Je reconnus d’emblée ,1e port de la capitale Scandinave que j'avais fré¬ quemment traversé pour les affaires du Parti. Je regardai avec intérêt les bateaux dans la rade. Menni, d’un tour de manivelle, mit à la place de l’oculaire une chambre photographi¬ que et, au bout de quelques secondes, il l’ôta du télescope, puis la trans¬ porta dans un grand appareil placé à côté et qui était un microscope.
— Nous faisons apparaître l’image et la renforçons ici-même dans le microscope sans toucher des mains la plaque, m’expliqua-t-il, et après quelques opérations insignifiantes, en une demi-minute environ, il me pré¬ senta la lentille du microscope.
Je vis avec une netteté saisissante et comme s’il se trouvait à quelques dizaines de pas, un vapeur de la So¬ ciété Septentrionale que je connais¬ sais : la lumière donnait du relief à l’image qui était d’une teinte absolu¬ ment naturelle. Je voyais sur la pas-' serelle un capitaine à cheveux gris avec lequel je m’étais entretenu plus
d’une fois durant mes voyages. Un matelot laissait tomber sur le pont une grande caisse et semblait figé dan? sa pose, ainsi qu'un passager qui lui montrait du doigt quelque chose. Et tout cela était à deux mille kilomètres—
Un jeune Martien, aide de Sterni, entra dans la chambre. Il devait cal¬ culer la distance exacte parcourue par I’éthéronef. No-us ne voulûmes pgs le déranger dans son travail et allâmes plus loin, dans la chambre « à eau » où se trouvait un énorme réservoir plein d’eau et de vastes- appareils pour la filtrer. Nombre de tuyaux conduisaient cette eau, du réservoir à tout l’éthérorvef.
Plus loin venait la chambre « des calculs ». Il y avait là des machines, avec de nombreux cadrans à ai¬ guilles. Sterni travaillait à la plus grande machine, d’où sortait un long ruban renfermant sans, doute les ré¬ sultats de ses calculs ; mais les signes inscrits, comme sur tous les cadran?, m’étaient inconnus. Je ne voulais pas déranger Sterni en conversant avec lui. Nous passâmes rapidement dans le dernier compartiment laté¬ ral.
C’était la chambre « à oxygène », On y conservait de? provisions d’oxy¬ gène sous i’espèce de vingt-cinq ton¬ nes de chlorate de potassium dont on
pouvait extraire, dans la mesure des besoins, jusqu'à dix mille mètres cubes d’oxygène, quantité suffisante pou-r plusieurs voyages semblables au nôtre. Il y avait également des appareils pour la décomposition du chlorate de potassium. Plus loin des provisions de baryte et de potasse caustique pour l’absorption de l’acide carbonique de l’air, ainsi que des provisions d’anhydride sulfureux pour l’absorption de l’humidité su¬ perflue et de ce poison physiologique que dégage la respiration, poison in¬ comparablement plu? nocif que l’aci¬ de carbonique. Cette chambre était sous la direction du docteur Netti.
Ensuite, nous revînmes au secteur central des machines et de là, par un petit ascenseur, . nous passâmes à l’étage supérieur de l’éthéronef. Un deuxième observatoire occupait ’a obambre centrale, semblable en tous points à la chambre basse mais avec une enveloppe de cristal en haut et non en bas et des instruments de plus grandes dimensions. De cet ob¬ servatoire, on voyait une autre moi¬ tié de la sphère céleste «n même temps que la « planète de destina¬ tion ». Mars brillait de sa lumière rougeâtre à l’écart du zénith. Men¬ ni dirigea le télescope dans cette di¬ rection et je vis avec précision le contour des ooBjinents, des mers et
d'un réseau de canaux qui m’était connu par la carie de Schiaparelli. Menni photographia la planète et une carte détaillée apparut sous le rni- oroscope. Mais je n’y pus rien com¬ prendre sans les explications de Men¬ ni. Les taches des villes, des forêts et, des tacs se différenciaient entre elle? par des détails insaisissables et incompréhensibles pour moi.
— Quelle est la distance ? deman¬ dai-je.
— Relativement proche : environ cent millions de kilomètres.
— EL pourquoi Mars n’est-elle pas au zénith de la voûte oéleste ? Est-ce à dire que nous ne volons pas direc¬ tement vers elle mais de biais i
— Oui, et nous ne pouvons faire autrement. Venant de Terre, nous conservons entre autres' par force d’inertie, sa vitesse de rotation au-? tour du soleil : 30 kilomètres à la se¬ conde..' La vitesse de Mar? est de 24 kilomètres et si nous volions’ Par la perpendiculaire entre les deux or¬ bites, nous nous heurterions à la sur¬ face de Mars avec un excédent de vi¬ tesse latérale de six kilomètre? à la seconde, C’est tout à fait imprati- caole et nous devons choisir une voie ourvi ligne sur laquelle l’excédent de vitesse latérale soit contre-balancé,
> CA tuivrs.)
N° 8. Feuilleton du Populaire. 12-8-36
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Traduit du russe ■ par Colette Peignot Üfer" Manuscrit de Léonide |
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PREMIERE PARTIE TL — L’ETHERONEF
— Quelle est donc, en ce cas, la longueur totale de notre route ?
— Environ. 160 millions de kilo¬ mètres, ce qui n’exige pas-moins de dettx mois et demi.
I Si je n'avais été mathématicien, I ces chiffres n’auraient pas parlé à mon cœur. Mais alors, ils. provo¬ quaient en moi une sensation proche du cauchemar et je me hâtai de sor¬ tir de la chambre astronomique.
Les six compartiments latéraux du segment supérieur entouraient l’ob¬ servatoire comme un anneau ; ils étaient absolument sans fenêtres et leur plafond qui constituait une par¬ tie de la surface ronde descendait en s’incurvant jusqu’au sol même. Au plafond, se trouvaient de grands ré¬ servoirs. de « matière-moins » dont la force répulsive devait paralyser le poids de tout l’éthéronef.
Les étages intermédiaires — le troisième et le second — étaient occupés par de3 salles communes, les laboratoires des divers membres de l’expédition, leurs cabines, leurs bains, la bibliothèque, la salle de gymnastique, etc.
La cabine de Netti se trouvait â côté de la mienne.
VIL — LES MARTIENS
La perte de pesanteur se faisait de plus en plus sentir. La- sensation de légèreté, en augmentant, cessait d être agr-unle. Un élément d’incerti¬ tude -s'y mêlait . ainsi qu’une sorte d’anxiété confuse. J’allai dans ma
chambre et m’étendis sur la cou¬ chette.
Deux heures de calme et de ré¬ flexions tendues m’amenèrent au sommeil. Quand je m’éveillai, Netti était dans ma chambre, assis à la table. Je me levai d’un mouvement involontairement brusque et fus comme projeté en l’air, me heurtant la tête au plafond.
— Quand on pèse moins de vingt livres,, il faut être plus .prudent, re¬ marqua Netti, d’un ton empreint de bonté et de philosophie.
Il était venu chez moi pour me donner toutes les instructions indis¬ pensables en cas de «-mal de mer « et je commençais justement à en souffrir du fait de la perte de pesan¬ teur. Il y avait dans. ma cabine un signai d’alarme correspondant à sa ctjambre et grâce auquel je pourrais toujours l’appeler quand son aide me serait indispensable.
Je mis à profit- cette occasion de m’entretenir avec le jeune doeteur. .T’étais attiré malgTé moi vers ce earçon sympathique, fort instruit et très gai. Je lui demandai comment il se faisait que, de tous les Martiens de l’ëthéronef, il fût le seul, à part Menni, à connaître ma langue ma¬ ternelle.
— C’est très simple, expliqua-t-il. Lorsque nous -nous mîmes à « cher¬
cher un homme », Menni m’a désigné pour l'accompagner dans , votre pays et nous y avons passé plus d’un an jusqu’à ce que nous ayons mené à bien cette affaire.
— Alors, d’autres ' ont « cherché u.n homme » dans divers pays V
— Naturellement, chez les princi¬ paux peuples de- la terre. Mais, comme l’avait prévu Menni, nous l’avons trouvé plus tôt qu’ailjeurs dans votre pays où la vie est plus énei'gique et claire, où les gens sont contraints de regarder en avant. Ayant, trouvé un homme, nous avons averti nos cama¬ rades, ils se sont rassemblés, venant de tous les pays ; et voilà, nous som¬ mes en route,
— Qu’entendez-vous, à proprement parler, par « chercher un homme », « trouver un homme »? Je. com¬ prends qu il s'agissait d’un sujet apte à jouer un certain rôle : Menni m’a expliqué lequel exactement. Je ‘suis très flatté d’avoir été' choisi, mais je voudrais savoir à quoi j’en suis re¬ devable.
— Dans les grandes lignes; je puis vous le diire. Il nous fallait un homme dont la nature renfermât le plus pos¬ sible de santé et de souplesse, le plus, possible d’aptitude, au travail intellectùel, le moins possible d’atta¬ ches purement personnelles sur- la Terre, le moins possible d’individua¬
lisme. Nos physiologues et nos psychologues ont supposé que la transition des conditions de votre so¬ ciété, démembrée par une éternelle lutte intestine, aux conditions de la nôtre, organisée, comme vous diriez, selon les principes socialistes, serait très pénible à un homme isolé et exigerait une nature particulière¬ ment favorable. Menni a trouvé que vôns conveniez mieux que d’autres.
— Et l’avis de Menni était suffisant pour vous tous ?
— Oui, nous nous fions pleinement à son appréciation. C’est un homme plein de forces et de clairvoyance, il se trompe très, rarement. Il a plus d’expérience, dans les relations as-ec •leg Terriens, que quiconque parmi nous : il a été le premier à établir ces relations.
— Et qui a découvert le moyen de communication interplanétaire V
— C’est le fait de beaucoup et non d’un seul. La « matière-moins » a été réalisée il y a quelques dizaines d’années. Mais, au début, on ne l’ob¬ tenait que par quantités infimés et il a fallu lès efforts de nombreux « collège? » de fabriques pour trou¬ ver et développer les moyens de !a produire en grand. Ensuite, il devint nécessaire de perfectionner la teohnique d’extraction.et de désagré¬ gation de la matière radiante pour
avoir un moteur adéquat aux éthéro- nefs. Cela aussi a exigé bien des ef¬ forts. De plus, beaucoup de difficul¬ tés découlaient des conditions mêmes du milieu interplanétaire, avec son froid terrible et ses brûlants rayons de soleil non atténués par l’enve¬ loppe athmosphérique. L’évaluation de la durée du parcours s’avéra éga¬ lement très compliquée et sujette à maintes erreurs imprévisibles. En un mot, les expéditions précédentes sur Terre se sont terminées par la perte de tous les participants jus¬ qu'à ce que Menni réussisse à orga¬ niser un premier voyage couronné cie succès. Et maintenant, en utili¬ sant ses méthodes, nous avons ré¬ cemment atteint Vénus.
— Mais alors, Menni est un grand homme, dis-je.
— Oui, si vous tenez à appeler ainsi un homme qui a, en effet, beaucoup ot bien travaillé.
— Ce n’est pas cela que je voulais dire : bien des gens très ordinaires peuvent travailler beaucoup et bien, mais ce sont des exécutants. Menni est évidemment tout autre, c’est un génie créateur qui fait progresser l'humanité.
— Cela n’est pas clair du tout, et même "assez faux, me semble-t-il. Tout ouvrier est créateur, mais en chacun agissent l’humanité et la na¬
ture. Ne trouve-t-on pas, entre les mains de Menni, l'expérience des gé¬ nérations précédentes et des explo¬ rateurs, ses contemporains ? Chaque démarche de son travail relève de cette expérience. Et n’est-ce point la nature qui a disposé les éléments et les germe? de ses inventions ? N’est- ce pas de ce combat rrfême avec la nature qu’ont surgi les stimulants vivants de ses inventions ? L’homme est une individualité, mais son œuvre est impersonnelle. Tôt ou tard, il meurt, avec ses joies et ses peines, alors que l’œuvre reste dans le dé¬ veloppement illimité de la vie. En cela il n’existe pas de différence entre les travailleurs ; seule diffère la grandeur de ce qu’ils ont sur¬ monté et ce qui reste de leur effort dans la postérité.
_ Oui, mais par exemple, le nom d’un homme tel que Menni ne meurt pas avec lui et reste dans la mémoire de l’humanité, tandis que d’innom¬ brables autres noms disparaissent sans laisser de traces.
(A suivre.)
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N° 9. Feuilleton du Populaire. 13-S-36
5 Alexandre Bogdanov S
L'ETOILE
ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
PREMIERE PARTIE
Vil. — LES MARTIENS
/ — Le nom de chacun demeure tant que ceux qui vécurent avec ltii et le . connurent sont eux-mêm*es vivant?. Mais l'humanité n'a pas besoin du Éÿmboie mort d’un individu quand il
n'est . plus. Notre science et notre art conservent ce qu’a produit imperson¬ nellement le travail collectif. Un poids mort de nom? est inutile à la mémoire de l’humanité.
— Soit, vous avez raison ; mais nos sentiments se révoltent contre cette logique. Pour nous, les noms des chefs de pensée et d'action sont de vivants symboles dont notre scien¬ ce, notre art et toute notre vie so¬ ciale ne peuvent se passer. Il arrive souvent, que dans un combat de forces ou d’idées, un nom sur un dra¬ peau parle plus qu’un mot d’ordre abstrait. Et les noms des génies ne sont pas un poids mort dans notre mémoire.
— Cela vient de ce que l’unique but de l’humanité n’est pas encore pour vous : l'unique. Dans les illu¬ sions qui accompagnent le combat entre les hommes, il s’émiette et semble le but des hommes et non de l'humanité. Il m’est difficile de com¬ prendre votre point de vue, comme vous le nôtre.
— Ainsi, que cela soit bien ou inal, il n’y a pas d’immortels parmi nous ? Mais en revanche, les mortels font tous partie de l’élite; n’est-ce pas '! Ils sonUtous de ceux <jqui ont. beau¬ coup travaillé », comme vous dites.
— D’une façon générale, oui.’ Men¬ ai a choisi les camarades entar»
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sieurs milliers qui exprimaient le désir de partir avec nous.
— Et le plus important après lui est sans doute Sterni ?
— Oui, si vous tenez absolument à mesurer et comparer les gens. Ster¬ ni est un savant éminent quoique dans un tout autre genre que Menni. C'est un mathématicien comme il y en a peu. Il a découvert une série d’erreurs dans les calculs d’après les¬ quels étaient organisées les expédi¬ tion? précédentes sur la Terre et il a moqtré que quelques-unes de ces erreurs, à elles seules, suffisaient à provoquer l’échec de la "tentative et la perte des explorateurs. II a trouvé de nouvelles métliodes et jusqu’à présent le? résultats obtenus par lui s'avèrent impeccables.
— C’est bien ainsi que je me le représentais d'après les paroles de .Menni et mes propres impressions. Cependant, je ne comprend? pas pourquoi son aspect provoque en moi un certain sentiment de malaise, une sorte d’inquiétude mal définie, quelque chose dans le genre d'une, antipathie irraisonnée. Comment exv p!iquez-vous cela ? ..
— Voyez-vous, Sterni est un esprit fort niais ïrbM surtout analytique’. Il décompose tout imperturbable¬ ment et à fond, ses déductions sont souvent exclusives, parfois rigou-'
VMMMJk
reuses à l'excès, l’analyse des par¬ ties donne, en vérité, non le tout mais moins du tout. Vous savez que là où est la vie, le tout n’est que la somme de ses parties, comme le .corps humain vivant est plus que. la poitrine et les membres. Il s’ensuit que Sterni est moin? apte que d’au¬ tres à pénétrer l’esprit et la pefi3^e d’autrui. Il vous aidera toujours vo¬ lontiers dans ce que vous lui deman¬ derez vous-même, mais il ne devinera jamais de lui-même ce dont vous avez besoin. Cela gêne, évidemment, et aussi le fait que son' attention soit presque toujours concentrée sur son travail et sa tête constamment absor¬ bée par quelque problème ardu. C’est en quoi il ne ressemble en rien à Menni ; celui-ci voit toujours (ont autour de lui, il a su bien des lo.s m'expliquer à moi-même ce que je désire, ce qui m’inquiète, ce que cherchent mon cerveau et mon cœur.
— - S’il en est ainsi, Sterni doit traiter les Terriens, gens pleins de contradictions et de lacunes, avec beaucoup d’hostilité ?
Hosliliié? non, ce sentiment lui est étranger. Mais je crois qu’il y a en Jui plus dg scepticisme. qu;'il J conviendrait. Tl a passé six mois en France et a télégraphié à Menni :
« Ici, inutile de chercher ». Peut-être^ avait-il en parti# raison parce gti*
Lelta, qui l’accompagnait, n’a pas trouvé l’homme voulu. Mai? les ca¬ ractéristiques qu’il donne des gens vus dans ce pays sont beaucoup plus séveres que celles de Lelta et, natu¬ rellement, beaucoup plus exclusives, quoique ne renfermant en soi rien de directement faux.
— Et qui est ce Letta dont vous parlez ? Je ne me souviens pas de lui.
— Le chimiste, collaborateur do Menni. C’est l’aîné de tous à bord de l’éthéronef. Vous sympathiserez avec lui et il vous sera très utile. 11 est de nature sensible et comprend bien l'âme humaine, lout en n'étant pas psychologue comme Menni. Allez le voir au laboratoire, il sera content et vous montrera beaucoup de choses intéressantes.
A ce moment, je me souvins que nous volions déjà loin de la Terre et l’envie me prit de regarder. Nous nous rendîmes ensemble dans l’une des salles latérales à grandes Te- nèt.res.
— Ne passerons-nous pas près de la Lune ? demandai-je r.. - Non. -la Lune restp loin de côté et c’est dommage. J’eusse aimé aussi la voir de plus près. De la Terre, elle m’a semblé . si étrange 1 Grande, froide, ouivrée, d’ün calme éniggaa- ,
tique, elle ne ressemble pas du tout à nos deux petites Limes qui courent si vite par îe ciel et changent de visage comme des enfants capri¬ cieux. En revanche, votre Lune est beaucoup plus brillante, sa lumière très agréable Votre Soleil aussi est plus brillanl Voilà en quoi vous êtes beaucoup plus heureux que nous. Votre monde est deux fois plus lu¬ mineux ; c’est pour cela que vous n'avez pas besoin d’yeux comme les nôtres avec de grandes pupilles pour capter les faibles rayons de notre jour et de notre nuit.
Nous nous assîmes à la fenêtre. La Terre brillait au loin comme une gigantesque faucille sur laquelle on ne pouvait distinguer que les con¬ tours de' l’Amérique occidentale et de l’Asie nord-orientale. Une tache trouide indiquait l’Ucéan Pacifique, une tache blanche le Pôle Nord.- L’Océan Atlantique et le Vieux- Monde reposaient dans les ténèbre? ; et l’on pouvait seulement les devi¬ ner au delà du bord mal défini de la faucille parce que la partie invisible de la Terre couvrait les étoiles dans le vaste espace de ciel noir. Notre trajectoire oblique et la rotation de la Terre autour de son axe amenait un tel changement de décor.
(A suivre.).
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Alexandre Bogdanov 5
L'ETOILE
N” 10. Feuilleton du Populaire. 14-S-3G , et où maintenant un autre avait pris
ma place. Le doute s’éleva dans mon esprit.
— En bas le sang coule, dis-je, et ici le combattant d’hier joue un rôle de paisible spectateur—
— Là-bas, le sang coule, au nom d’un avenir meilleur, répondit Netti ; mais pour le combat même, il faut « connaître » ce meilleur avenir. Et vous êtes ici pour cela.
D’un élan spontané, je pressai sa petite main presque enfantine. _
VIII. — L’APPROCHE
La Terre s'éloignait de plus en plus et. amincie par l’éloignement, se transformait en faucille lunaire ac¬ compagnée maintenant d’une plus petite faucille, la véritable Lune. En même temps, nous tous, habitants de l’éthéronef, devenions de fantasti¬ ques acrobates aptes à voler sans giles et à se poser commodément dans n’importe quel sens : la tête au plancher, au plafond ou aux murs, indistinctement... Peu à peu, j’en¬ trai en contact avec mes- nouveaux camarades et commençai- à me sen¬ tir plus libre; avec eux.
Dès le surlendemain de notre dé¬ part (nous avions conservé cette me¬ sure du temps quoiqu’il n’existât plus pour nous de véritables jours et de véritables nuits), et de ma propre
ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
PREMIERE PARTIE VIL — LES MARTIENS
Je regardais— et devins triste de ne pas voir mon pays natal où s’agi¬ tent tant de vies, de luttes, de souf¬ frances, où hier encore j’étais dans le rang aux côtés de mes camarades
initiative, je revêtis, le costume des Martiens pour être moins différent d’eux. Il est vrai que le costume par lui-même me plaisait : simple, pra¬ tique, "sans rien d’inutile ni de con¬ ventionnel dans le genre cravates ou manchettes, il laissait la plus grande liberté possible de mouvements. Les divef-ses parties du costume se joi¬ gnaient si bien par de petites at- taches que l’ensemble formait un tout et qu.’il .était facile, en cas de besoin, de défaire ou d’enlever une seule manche, ou les deux, ou toute la blouse.
Les manières de mes compagnons ressemblaient à leur costume : sim¬ plicité, absence de superflu et de conventionnel. Ils ne se disaient ni bonjour, ni au revoir, 11e se remer¬ ciaient pas, ne faisaient pas durer la conversation par politesse si le sujet direct en était épuisé ; ils don¬ naient toujours avec grande patience toutes sortes d’éclaircissements, en ayant grand soin de s’adapter, au de¬ gré de'compréhension de leur inter¬ locuteur et de pénétrer sa psycholo¬ gie, même si elle s'accordait peu à la leur.
Bien entendu, je m’étais mis, dès les premiers jours, à l’étude de leur langue et tous, avec le plus vif em¬ pressement, s’acquittaient du rôle oc répétiteur, mais en particulier
Netti.’ Cette langue est très originale et malgré la grande simplicité de la grammaire comme des règles de formation des mots, elle compte des particularités dont il m’était diffi¬ cile de venir à bout. Ses règles, en général, ne présentent pas d’excep¬ tions ; il n’y a point de différencia¬ tion caractérisée comme celles des genres masculin, féminin ou neutre ; mais en revanche, toutes les dénomi¬ nations d’objets changent d’après les temps. Cela n’entrait pas dans ma têle.
— Dites-moi ce que signifient ces formes ? demandai-je à Netti.
— Vraiment, vous ne comprenez pas ? Et pourtant, dans vos langues, en nommant le sujet, vous indiquez soigneusement que vous le jugez masculin ou féminin ce qui, en réalité, est très peu important et même assez étrange quand il s’agit de mots abstraits. Combien plus im¬ portante est la distinction à établir entre les sujets qui existent et ceux qui ne sont plus ou qui sont encore à venir.
« Chez vous, « maison » est mas¬ culin èt « barque » est féminin ; chez les Français, c’est le contraire et cela ne change rien à l’affaire. Mais quand vous parlez d’une maison qui a déjà brûlé ou que l’on s’apprête à construire, vous employez le mot
dans la même forme que pour parler de la maison dans laquelle vous habi¬ tez. Y a-t-il dans la nature plus grande différence qu’entre un hom¬ me vivant et un homme mort ? Ce¬ pendant, quelque chose existe--- et comment n’est-ce plus ? Il vous faut des mots et des phrases entières pour désigner cette différence, ne vaut-il pas mieux l’exprimer par l’adjonction d’une lettre dans le mot même ? »
En tout cas, Netti fut content de ma mémoire, sa méthode d’enseigne¬ ment était excellente et mes études avançaient rapidement. Gela m’aida à me rapprocher des Martiens. Je commençai à circuler à travers tout l’éthéronef. avec toujours plus d’as¬ surance. entrant dans les chambres et les laboratoires de mes compa¬ gnons de voyage et les interrogeant sur tout ce qui me préoccupait.
Le jeune astronome, Enno, assis¬ tant de Sterni, me montra quantité de choses intéressantes, manifeste¬ ment entraîné, tant par les calculs et les formules dans lesquelles, il était passé maître, que par la beauté de l’observation. J’avais l’âme en joie avec ce. .jeune astronome-poète ; et la propension naturelle à s’orienter au milieu de la nature me donnait un .prétexte permanent de passer beau¬
coup de temps auprès d’Enno et de ses télescopes.
Une fois, Enno me montra, à la faveur • du plus fort grossissement possible, la toute petite planète Eres, dont une partie de l’orbite passe entre les voies dé la Terre et de Mars, et l’autre partie, plus loin que Mar?, dans le rayon des astéroïdes. Bien qu’à ce moment Eros se trouvât à une distance de 150 millions do kilomètres, la photographie de son petit disque représentait, dans le champ visuel du microscope, une carte géographique entière semblable à la carte de la Lune. Evidemment, c’est une planète sans vie, comme la Lune.
Une autre fois, Enno photographia un essaim de météores passant a quelques millions de kilomètres de nous. L’image présentait seulement une - nébuleuse indéterminée. A ce propos, Enno me raconta qu’au cours d’une des expédition?, précé¬ dentes sur la Terre, l’éthéronef pé¬ rit justement alors qu’un essaim sem¬ blable le coupait de part en part. Les astronomes, qui observaient l’ap¬ pareil *lans les plus grands téles¬ copes, virent s’éteindre la lumière électrique et l’éthéronef disparaître à jamais d-ans l’espace.
(A suivre.) i
N' 11. Feuilleton, du Populaire. 15-8-36
Alexandre Bogdanpv S
L'ETOILE
Traduit dq russe par Colette Peignot
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Manuscrit de Léoaide
PREMIERE PARTIE
Vin! - L’APPROCHE
' — Sans doute, l’éthérohef s’est-il heurté à quelques-uns de ces petits corps qui, étant donnée, l’extirêmè différence dé vitesse, ent dû en pé-' nétrer toutes les parois. L’air n’est
échappé dais l’immensité, et lé froid du milieu interplanétaire a congelé les corps déjà inertes des voyageurs. Et maintenant, l’éthéronef vole, U continu© sa route dans l’orbite de la comète et s’éloigne du soleil à ja¬ mais... On ne sait où prendra fin le périple de cet étrange navire peuplé
Âa radavrfts
A ces mots, le froid des • déserts éthérés sembla pénétrer dans . mon cœur. Je me représentai, toute vive, notre petite lie lumineuse au milieu de l’Océan mort, infini... sans- aucun appui dans son mouvement rapide, vertigineux et Té vide noir tout au¬ tour Enno devina mon état d’âme, Menni est un pilote sûr, dit-il, et Sterni ne commet pas d'erreurs. Quant à la mort, vous l’avez sans doute vue de près dans votre vie... elle n’est que la mort... pas plue.
L’heure allait bientôt sonner où je devrais më . souvenir de cés paroles en luttant contre un mal psychique douloureux.
Le' chirtiiste Letta m’attirait par cette sensibilité particulière, cette délicatesse de' nature dont ' rii’avait parlé Netti et aussi par sa grande connaissance de la question scienti¬ fique la plus intéressante à me* yeux : la composition dé la matière. Seul, Menni était plus compétent dans ce domaine ; mai» je, m’efforçai
de m’adresser le moins possible à lui, sachant son temps trop précieux aux intérêts de la science et ceux de l’expédition, pour me. sentir le droit de le détourner de sa tâche à mon profit. Mais c'èst avec une inépui¬ sable patience que le bon vieillard Létta s’adressait à mon ignorance, avec une prévenance égale et même un plaisir visible qu’il m’expliquait T.ABÇ du sujet. : auprès de lui, je ne me - sentais pas gêné le moins du monde.
Letta entreprit de me faire un cours entier sur la théorie de la com¬ position de la matière'; ce faisant, il l'illustrait d'une série d’expériences de dêsàgrégation et de' synthèse des éléments. Il devait cependant renon¬ cer ,à beaucoup de ces expériences et se borner à leur description ver¬ bale parce- que certaines compor¬ taient des phénomènes particulière¬ ment violents, se résolvaient oü ris¬ quaient de se résoudre sous forme d’explosions.
Un jour, durant, la leçon, Menni passa au1 laboratoire. '■ Letta termi¬ nait la description d’une expérience très intéressante qu’il s’apprêtait à réaliser, . '
— Soyez pruejent, lui dit Menni : je me ^souviens qü’une - fois cette création s’est mal terminée chez moi ; g suffit du plu» infime alliage étran¬
ger à la substance que vous décom¬ posez pour que la plus faible dé¬ charge électrique provoque une ex¬ plosion pendant le chauffage.
Letta s’apprêtait déjà à renoncer mais Menni, invariablement aimable et attentif à mon égard, lui proposa de l’aider à une vérification minu¬ tieuse de toutes les conditions de l’expérience.: La réaction se fit â merveille.
Le jour suivant, nous eûmes de nouvelles manipulations .à faire avec ia même matière. Il me sembla que, pette. fois, Letta ne l’avait pas prise dans le même bocal que la veille. Comme il mettait déjà la cornue dans, le bain électrique, il me vînt à l’esprit de lé lui dire. Inquiet, il alla àussitôt.à Uarmoire aux réactifs, .laissant le. baip, .et la cornue ,suç la table pris de la paroi qui se trouvait être en même temps le mur extérieur de. l’élbéronef, 'J’allai vers lui. ,
Tout à couip, un fracas, assourdis¬ sant retentit et nous fûmes tous deux frappés violemment par les portes de l’armoire.' Quelque chose sifflait, hurlait, puis" il ÿ eut un: bruit dë brisure métallique. Je sentis qu’une forcé invincible, semblable à un ou¬ ragan, . m’entraînait en arrière- vers le "mur extérieur. Je parvins — ma¬ chinalement -- à m’agripper à une forte poignée apposée sua; i’armoire
et à me suspendre horizontalement, maintenu dans cette position par un puissant courant d’air. Letta fit de même,
— Tenez-vous plus fort ! cria-t-il, et. je distinguai à peine sa voix dans ce bruit de tempête. Un froid cou¬ pant pénétra mon corps.
Letta regarda vite autour de lui. Son -visage était effrayant de pâleur, l’expression affolée disparut, il y eut un rétablissement de pensée claire et de décision ferme. Il ne prononça que deux mots, je ne pus les com¬ prendre mais devinai que c’était un adieu à jamais Ses mains, se desser¬ rèrent.
Un choc sourd, et le hurlement de l’ouragan cessa. Je sentis que je pou¬ vais lâcher la poignée et je regar¬ dai autour de moi. Il ne restait pas trace de la. table, et, le dos au mur, faisant corps avec la paroi, Letta se tenait immobile, les yeux grands ou¬ verts, le visage figé. D’un bond, je me trouvai à ia porte , et l’ouvris. Un coup dë vent chaud . me rejeta . en arrière. Une seconde après, Menni entra dans la chambre. Il alla vive¬ ment près de Letta.
La pièce fut bientôt pleine de monde. Netti, écartant chacun de son cherriin. se précipita aussi vers Letta. Les autres nous, entouraient dans un silence angoissé.
— Letta est mort, dit Menni. L’ex¬ plosion survenue pendant l’expé¬ rience chimique a percé la paroi de l’éthéronef et Letta a couvert la brèche de son corps. La pression de l’air a déchiré ses poumons et para¬ lysé son cœur. La mort a été instan¬ tanée. Letta a sauvé notre hôte ; la perte de?, deux eût été inévitable.
Un sanglot sourd échappa à Netti.
IX. — LE PASSE
.Durant. les quelques jours qui sui¬ virent la catastrophe, Netti ne sortit pas de sa chambre et je surprenais parfois une expression franchement malveillante dans le regard de Ster¬ ni. Il était incontestable qu’un sa¬ vant éminent avait péri à cause de moi; l’esprit mathématique de Ster¬ ni ne pouvait manquer d’établir une comparaison entre la grande valeur de- cette vie -perdue et celle qui était sauvée. Menni demeura invariable¬ ment égal êt calme, il redoubla mê¬ me d’attention et de sollicitude à mon égard ; telle fut' aussi la con¬ duite d’Enno et de tous les autres.
(A suivre.)
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N” 12. Feuilleton du Populaire. 16-8-36.
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p Traduit du russe * par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
PREMIERE PARTIE IX. - LE PASSE
Je continuais avec plus d'ardeur encore l’étude de la langue des Mar¬ tiens et à la première occasion, je priai Menni de me donner un livre j quelconque sur l’histoire dé leur hu- 1
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manité. Menni trouva mon idée ex¬ cellente et ; m’apporta un manuel dans ' lequel ' Thistoire' universelle était exposée sous une forme popu¬ laire à l’ùsage dés enfants, martiens.
Je commençai, aveo l’aide de Netti,. à lire et traduire le petit livre. Je fus frappé; de L’arti avec lequel un auteur inconnu avait animé et con¬ crétisé 'par dés illustrations les. no¬ tions et îles schémas généraux le9 plus abstraits à première vue. , Cet art ïui aVait permis dé mener l’ex- poslé- d’après un système géométri- que-constructif, <jans une, succession' logiquè ‘et sobre que pàs un de nos’ vulgarisateurs ! terriens, ne- se serait décidé à adopter pour les enfants.
Le premier chapitre, d’un carac¬ tère 1 nettement : philosophique, était consacré à l’idée de l’Univers, com-, me un Tout Unique renfermant tout 'en lui-même et définissant tout par, $oi-mèflpe.,Çei chapitre, nr^e ; rap¬ pela Vivement les œuvres de ce pen¬ seur-ouvrier qui, sous une. forme simple et naïve, a le premier exposé les bases de la* philosophie- proléta¬ rienne de la nature.
Au chapitre •suivant,; l’exposé re*- montait ’à l’époque incommensura- blèment lointaine où, dans l’Ünivérs, aucune forme .connue ' de nous n’é- tàK ehco’éé. cohstitiiée' — qügnfl 'ie
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chaos et l’indéterminé régnaient dans l’espace infini. L’auteur racon¬ tait comment se différencièrent dans Ce milieu les premières couches amorphes, imperceptibles et subtiles, qui ne se distinguaient pas chimi¬ quement de la matière ; ces couches serviront d'embryons aux mondes, géants d’étoiles que sont les nébu¬ leuses comme la Voie Lactée, avec ses vingt, millions de soleils, parmi lesquels le ' nôtre est l’un des plus petits. ....
Plus loin, il était question.de la façon donL, la matière,, se concen¬ trant et passant à une composition plus stable, avait pris, forme d’élé¬ ments chimiques tandis que les cour elles primaires amorphes se désa¬ grégeaient et que, parmi elles, se dé¬ gageaient. les- nébulosités gazéiformes planétaires et solaires, comme on en trouve des milliers encore à l’heure actuelle au télescope. L’histoire de l’éybltftiôn de ces nébuleuses, de leur cristallisation en soleils et en planè¬ te^, pétait- exposée à la manière de nôtre théorie sur l’origine des mon¬ des, de Kant et Laplacè, mais avec plus de, précision et de plus grands détails. '
Dites-moi, Menni, demandai-je, est-il. possible que vous' jugiez favo¬ rable de donnér' aux; enfants,, tout au début, des idées aussi générales
, et,' pour ainsi- dite, aussi abstraites que ces pâles images de mondes si éloiignés; de leur milieu proche et concret ? Cela ne revienl-il pas à peupler les cerveaux d'enfants d’i¬ mages presque vides et verbales ?
— C’est que, chez nous, on ne com¬ mence jamais l’instruction par' les livres, répondit Menni. (L’enfant pui¬ se ses connaissances dans l’observa¬ tion vivante de la naturé et dans les relations vivantes 'avec les autres humains. Avant., de. se mettre à un lel livre, ii a déjà fait maints voya¬ ges et vu des représentations va¬ riées de la nature, il connaît quan¬ tité- d'espèces de plantes et d’ani¬ maux, il est familiarisé, avec l’usage du télescope, du microscope, de la photographie, du phonographe; il a entendu de la bouche d’enfants plus âgés, d’éducatéürs et autres amis adultes, beaucoup de récits sur le passé et le lointain. Un livre comme celui-ci doit seulement relier en un tout et raffermir ses connaissances, combler, chemin faisant, les lacunes fortuites et indiquer le sens des étu¬ des futures. On comprend que gr⬠ce à cet ensemble,' l'idée du Tout doive constamment, ressortir eh pre¬ mier lieu avec une précision' entiè¬ re et se poursuivre du commence¬ ment à la fin 'pour 'ne jamais se perdre dans" les parties, Il faut
créer l'homme intégral dans l’en¬ fant.
Tout cela m’était fort inhabiluel, mais je ne commençai pas à ques¬ tionner Menni plus en détail : de toutes manières, je devais faire di- recjemerit la connaissance des en¬ fants martiens et de leur système d’éducation. Je revins ‘à mon livre.
Le sujet des chapitres suivants était l'histoire- géologique de Mars. Bien que très condensée, elle sem¬ blait tout à fait comparable à celle de la Terre et de Vénus. A côté du parallélisme notable des trois pla¬ nètes, la différence fondamentale consistait en ce que Mars était, deux fois plus âgée que la Terre et pres¬ que quatre fois plus que Vénus. Les différents âges des planètes étaient établis et, tout en me lés rappelant Tort bien, je ne les rapporterai pas ici pour ne pas irriter les savants terriens auxquels ils apparaîtraient assez inattendus.
Plus loin, venait l’histoire de la vie dès son origine. On décrivait lés mélanges primitifs des dérivés du cyanogène qui, tout en n’élahl pas encor, e. la véritable matière vivante, avaient beaucoup de. ses propriétés ; puis ; venait .la description des con¬ ditions' géologiques ou ces mélanges se formèrent chimiquement. Oh "ex¬ pliquait pour quelles raisons telles-
substances se conservaient et s’accu¬ mulaient parmi d’autres mélanges plus stables mais moins souples. On suivait pas à pas la composition et la différenciation de ces germes chi-, miques de toute vie jusqu’à la for¬ mation des véritables -cellules , fvi- vantes avec lesquelles commence « le. règne des protistes . ». ,
Le tableau du développement ul¬ térieur de la vie se réduisait à l’é¬ chelle du progrès des être, s vivants ou, plus exactement, à leur arbre gé¬ néalogique commun : des protistes aux plantes supéreures d’une part, à l’homme d’autre part, avec diver¬ ses ramifications latérales. Compa¬ rée à la chaîne dé développement, terrestre, de la première cellule à l’homme celle-ci apparaissait pres¬ que semblable avec une différence insignifiante dans les premiers et les derniers anneaux, mais beaucoup plue grande dans les moyens. Cela me parut des plus étranges.
(A suivre.)
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N° 13. Feuilleton du Populaire. 17-8-36.
Alexandre Bogdanov ■
L’ETOILÉ ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignol
MAraserit de Léonide
PREMIERE PARTIE IX. - LE PASSE
— Cette question, me ait Nfetti, n'est pas encore, que je sache, étu¬ diée spécialement. Il y a vingt «ns, nous ne savions même pas comment étaient constitués les animaux supé-
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rieurs sur la Terre et nous fûmes très étonnés de découvrir quelque analogie avec 1g type correspondant chez nous. Evidemment, le nombre de tv,pes supérieurs possibles expri¬ mant la plus grande plénitude de vie n’est pas si grand ; et sur des planètes aussi semblables que les ndtres, dans les limites de conditions absolument similaires, la nature n’a pu atteindre ce maximum de vie que par un seul moyen.
— De plus, remarqua Menni, le type supérieur qui règne sur notre planète est celui qui exprime le mieux toute la somme de ses condi¬ tions ; tandis que les stades inter¬ médiaires, aptes à saisir seulement une partie de leur milieu, n’expri¬ ment ces conditions qu’en partie et d une façon unilatérale. C’est pour¬ quoi, étant ddnnée l’extrême res¬ semblance de la somme des condi¬ tions communes, les types supérieurs doivent correspondre dans la plus grande mesure et les types inter¬ médiaires, en vertu de leur unila¬ téralité même, présenter un plus vaste champ à la différenciation.
-Jë me rappelai que, durant mes études universitaires, la même pen¬ sée du nombre restreint de types supérieurs possibles m’était venue à l’esprit mais à un tout autre pro¬ pos : chez les pieuvres, mollusques-
marins céphalopodes, organismes supérieurs de toute une branche de développement, les yeux sont sin¬ gulièrement semblables à ceux de notre branche de vertébrés ; ce¬ pendant, l’origine et l’évolution des yeux de céphalopodes soiit absolu¬ ment différentes, à ce point diffé¬ rentes, que même les couches cor¬ respondantes des tissus de l’appa¬ reil visuel sdnt disposées chez eux dans ■ l'ordre inverse du nôtre..,
D’une manière ou d’une autre le fait était patent : sur l’autre planète vivaient des gens qui nous ressemblaient et il me -restait à poursuivre assidûment l’étude de leur vie et de leur histoire.
En ce qui concerne .les temps préhistoriques, et en général les phases primitives de la vie humaine sur Mars, .là aussi la similitude avec le monde terrestre était grande. Mê¬ mes formes d’existence générique, même co-existence différenciée de communautés distinctes, même dé¬ veloppement de liens entre elles au moyèn des; échanges. Mais, ensuite commençait la divergence, moins dans la tendance essentielle du dé¬ veloppement que dans son style et son caractère.
La marché de l'histoire sur Mars aurait été plus modérée èt plus sim¬ ple que Suï la Terré. Il y eut, natu¬
rellement, des guerres de races et de peuples, il y eut également des luttes de classés ; mais en compa¬ raison, les guerres n’eurent pas un grand rôle dans la vie historique et prirent fin assez tôt ; la lutte des classes fut beaucoup plus rare sou? forme de heurts de forcés bruta¬ les. A la vérité, cela n'était pas in¬ diqué. directement dans le livre que je lisais mais me semblait évident d’après tout l’exiposé.
Les Martiens ne connurent pas du tout l’esclavage ; au temps de la féodalité, il y eut assez peu de mili¬ tarisme ; leur capitalisme se libéra très tôt du. morcellement national et n'a rien créé de semblable à nos armées contemporaines.
Je dus chercher moi-même des explications à tout cela : les Mar¬ tiens, et même .Menni, commençaient seulement à étudier l’histoire de l’humanité terrestre et n’avaient pas encore fait l'étude comparative de notre passé et du leur.
Je me souvins d’une conversation antérieure avec -Menni. M’apprêtant à étudier la langue de mes compa¬ gnons de voyage, je voulus savoir si èlle était la plus répandue dè toutes celles qui existent sur Mars. Menni m'expliqua que c'était Punique lan¬ gue littéraire èt parlée dé tous les MartiehS.
— Il y eut un temps où, chez nous aussi, ajouta Menni, les gens de dif¬ férents pays ne se comprenaient pas les uns les autres ; mais quelques centaines d’années avant la révolu¬ tion socialiste, tous le? dialectes dif¬ férents se rapprochèrent et se fon¬ dirent en une seule langue univer¬ selle. Cela se produisit de soi-même cl librement, sans que personne y songeât ou s'en occupât. Quelques particularités locales se sont con¬ servées longtemps encore, de sorte qu’il y eut des dialectes distincts mais suffisamment compréhensibles pour tous. Le développement de la iittéralure a mis fin à leur existence.
— Je ne puis m’expliquer cela que par une chose, dis-je : il est évident que sur votre . planète, les rapports entre les hommes ont été, dès le dé¬ but, beaucoup plu? étroits et faciles que chez nous.
— Justement, répondit Menni. Sur Mars, on ne trouve ni vos vastes océans, ni vos infranchissables chaî¬ nes dè montagnes. Nos mèr? ne sont pas grandes èt ne produisent nulle part une complète rupture de terre ferme entre continents indépen¬ dants ; nos montagnes ne sont pas hautës. sauf quelque? sômmëts. La sürfàcè dé notre planète est quatre fois moiùs grande què Celle . de là
• Terre ; cependant, la force de pe¬ santeur est deux fois et demi moin¬ dre chez nous et, grâce à la légèreté du corps, nous pouvons nous dépla¬ cer assez rapidement et même sans mojens de communications artifi¬ ciels. Nous courons nous-mêmes aussi vite èt sans être plus fatigués que vous quand vous montez à che¬ val. La nature a mis entre nos peu¬ ples beaucoup moins de mer?, et de frontières naturelles que chez vous.
Telle fut sans doute la première cause fondamentale qui ait empêché un Apre séparatisme racial et natio¬ naliste dç l’humanité martienne ainsi que le plein développement des guerres, du militarisme et, en géné¬ ral, du système de meurtre en série. Vraisemblablement, le capitalisme, en vertu de ses contradictions, serait parvenu- cependant à ces par¬ ticularités d une haute culture ; mai? là-bas, le développement du dit capitalisme s'est poursuivi d’unè manière originale, suscitant de nou¬ velles conditions pour l’unité poli¬ tique de toutes les race? et de tous les peuples de Mars. Précisément, dans i’ngric.uiture, les petits paysans fu¬ rent très- tôt supplantés pàr de granües exploitations capitalistes èt, bientôt âpres, eut lieu la nationali¬ sation de toutes lès t ferrés.
La cause en était dans le des¬ sèchement ininterrompu du sot contre lequel les petit? agriculteurs n’étaient pas de taille à lutter. L'écorce de la planète absorbait l’eau profondément' sans l’éliminer en retour. C’était la continuation du processus grâce auquel les océans ayant existé aui refoi? sur Mars s’étaient ensablés et transformés en mers fermées relativement petites. Ce même processus d’absorption a lieu aussi sur notre Terre mais là, il n’en est pas encore au même point ; sur Mars, deux fois plus vieille que la Terre, il y a mille ans déjà que la situation devint sérieuse car à la réduction des mers corres¬ pondait naturellement la raréfaction des nuages et de la pluie, c’est-à-dire l’ensablement des rivières et le ta¬ rissement des ruisseaux. L’irrigation artificielle devint indispensable dans nombre d’endroits. Que pouvaient faire là de petits agriculteurs indé¬ pendants ?
(A suivre.)
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N° 15. Feuilleton du Populaire. 18-8-36
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Manuscrit de Léonide
PR RMI KH R PARTIE IX. - LE PASSE
Dan? certains cas, ils furent com¬ plètement ruinés et leurs terrains passèrent aux grands propriétaires fonciers voisin? qui disposaient de capitaux suffisants pour entrepren¬ dre l’irrigation. Dans cTaulres cas,
les paysans constituèrent d’impor- | tantes association? en réunissant leurs moyens pour ce travail en commun. Mais tôt ou tard, ces asso¬ ciations, vinrent à manquer de moyens financiers, difficulté temporaire sem¬ bla-t-il tout d’abord, une fois con¬ clus les premiers emprunts aux gros capitalistes, les affaires des associa¬ tions se mirent à péricliter de plu? en plus rapidement : le taux des em¬ prunts augmentait les frai? généraux, il fallut emprunter à nouveau et ainsi de suite. Les associations tom¬ baient sous la domination économi¬ que de leur? créditeurs et ceux-ci, en fin de compte, les ruinaient en se saisissant d’un coup des terres de centaines et de milliers de paysans.
Ainsi, tout le sol -cultivé passa à quelques milliers de gros propriétai¬ res fonciers, ; mais à l’intérieur des continents, il restait encore de grands déserts où l'eau manquait et ne pou¬ vait être amenée par les moyens indi¬ viduels des capitalistes. Quand le gouvernement, déjà pleinement dé¬ mocratique, se trouva contraint de s’intéresser à cette œuvre pour oc¬ cuper l’excédent croissant de prolé¬ tariat et aider les restes de là classe paysanne en voie d’extinction, il ne fut pas en mesure de fournir les moyens indispensables à la construc¬ tion de canaux gigantesques.
Des trusts capitalistes voulurent prendre l’affaire en mains, mais le peuple entier se révolta, sachant que dans cette éventualité les trusts l’as¬ serviraient complètement, ainsi que le gouvernement. Après une longue lutte et une résistance désespé¬ rée des propriétaires fonciers, un impôt progressif sur le revenu de la terre l'ut établi. Les res¬ sources obtenues par cotte voie ser¬ virent de fonds aux travaux gigan¬ tesques d’établissement des canaux. La force des « landlords » fut brisée et bientôt, la nationalisation de la terre accomplie. Sur quoi le? derniers paysans moyens disparurent parce que le gouvernement, dans son pro¬ pre intérêt, donnait la terre aux seuls gros capitalistes et les entreprises agricoles prirent encore plu? d'exten¬ sion. De sorte que les célèbres ca¬ naux furent aussi un puissant fac¬ teur de développement économique et un ferme soutien de l’unité poli¬ tique de l’humanité entière.
Après avoir lu tout cela, je ne pus me retenir d'exprimer à Menni ma stupéfaction en apprenant que ces canaux géant?, visibles même de la Terre dans nos mauvais télescopes, avaient été créés par la main des hommes. ,
— Là,, vous vous trompez en par¬ tie, remarqua Menni. Ces canaux
KaiiiiaiiiiHïaiiiiBiiiiaiBiiiiBiiiiHiiiiBiiiniMiiiwiiiii
sont effectivement énormes mais cependant,, ils m’ont pas des dizaines de kilomètres de largeur. Or, c est seulement à une telle dimension que vos astronomes auraient pu les ob¬ server. Ce qu’ils voient, ce sont de larges zones de forêts plantées- par nous le long des canaux pour mainte¬ nir une égale humidité d’air et, par cela même, éviter une trop rapide évaporation des eaux, il semble que quelques-uns de vos savants aient, deviné cela.
Le creusement des canaux amena une époque de grande prospérité dans tous le? domaines de la produc¬ tion . et une profonde accalmie des luttes sociales, La demande de main- d’œuvre était considérable et le chô¬ mage disparut. Mais quand les grands travaux furent terminés et qu’avec eux prit fin la colonisation capi¬ taliste de? anciens déserts, une crise industrielle surgit bientôt, et la « paix sociale » fut ébranlée. Tout cela con¬ duisit à la révolution. Et de. nouveau, îe cours des événements devint as¬ sez paisible ; l’arme principale des travailleur? était la grève, les choses ne prirent, tournure d’insurrection que rarement eL en peu d’endroits, presque exclusivement dans des ré¬ gions agraires. Pas à pas, les pro¬ priétaires reculèrent devant l’inévi¬ table ; et même alors que le gouver-
llüBllBIillB' IBIÜBlUaillBlliaïUBlBlIIIBIIIBIlllBII
nement se» trouvait aux mains du parti ouvrier, il n’y eut, du côté vic¬ torieux, aucune tentative de s’impo¬ ser par la violence.
Le rachat au sens exact du mot ne fut pas appliqué lors de la socialisa¬ tion des instruments de travail. Mai? les capitalistes furent d’abord mis a la retraite. Beaucoup d'entre eux jouèrent ensuite un rôle important, dans l’organisation des entreprises publiques. 11 ne fut pas facile de sur¬ monter les difficultés de répartition de la main-d’œuvre en accord avec la vocation des travailleurs. Durant un siècle environ, la journée de tra¬ vail, d’abord d'environ six heures, puis de plu? en plus courte, fut obli¬ gatoire pour tous, sauf pour les ca¬ pitalistes pensionnés. Mais le pro¬ grès de la technique et le recense¬ ment précis de la main-d'œuvre dis¬ ponible aidèrent à se débarrasser des derniers vestiges du vieux système.
(Je tableau, d'une évolution sociale égale, exempte de feu et de sang, contrairement à la nôtre, provoqua on moi un involontaire sentiment d’envie dont je parlai longuement a Xetti quand nous eûmes terminé le livre.
— Je ne sais, me dit pensivement le jeune homme, mais il me semble que vous avez tort. Il est vrai que les contradictions sofat plus aigues
sur la Terre, où la nature dispense les coups et la mort plus généreuse¬ ment que chez nous. Mais peut-être est-ce justement parce que la nature terrestre était incomparablement plus riche à son début, et que le so¬ leil lui donne beaucoup plus de sa force vive. Voyez de combien de mil¬ lion? d’années notre planète est plus vieille ; son humanité a surgi seule¬ ment quelques dizaines de milliers d’années plus tôt. que la vôtre, son avance est de deux ou trois cents ans à peine. Je nié représente les deux numanité? comme deux sœurs. L’aînée a une nature calme et équi¬ librée, la cadette est impulsive et agitée, (iéifè-ci gaspille ses forces et commet plus de fautes ; son enfance a été maladive'et inquiète ; mainte¬ nant, au seuil de la jeunesse, elle est souvent en proie à do? attaques dou- louretises et convulsives. Mais n on sortira-t-il pas une création artis¬ tique plus. grande et plus forte que chez la souir aînée ? ne saura-t-gllê pa? mieux alors enrichir et embellir noire grande nature ? Je ne sais, mais il rnc semble que ce sera ainsi-.
X. — L’AlUtIVEE
Dirigé par le cerveau lucide de Menni. l'éthéronef continua sa rou¬ te, sans nouvelles aventures, vers le but, lointain. J’étais déjà parvenu.
à m'adapfer passablement aux con¬ ditions de l’existence impondérable et à me familiariser avec les princi¬ pales difficultés de la langue des .Martiens quand Menni lions annon¬ ça que. nous avions parcouru la moi¬ tié dii trajet et atteint la plus gran¬ de vitesse qui, des lors; irait en di¬ minuant.
Au moment précis indiqué par Menni, l'étheronef,. rapide et léger, vira et changea, de 'direction. La Terre qui, depuis longtemps, de grande faucille lumineuse s’était transformée en petite fauciWe, puis en brillante étoile verte proche du disque solaire, passait maintenant de la partie inférieure de la voûle céleste à l'hémisphère supérieur. Et l'étoile rouge, de Mars, qui avait resplendi lumineuse au-dessus de nos télés, apparut au-dessous-
(A suivre.)
CHANGEMENT
D’ADRESSE Toute demande de'
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♦ se doit être accompagnée de
♦ 1» franc en timbres-poste et
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PREMIERE PARTIE X. — L’ARRIVEE
Dès dizaines et des centaines 3’heurès s’écoulèrent encore ; Mars 'se métamorphosa en petit disque clair et,; bientôt, surgirent deux pe¬ tites étbiles, ses satellites, Deimos et iPhobûs, minuscules planètes inno¬
centes, ne méritant en rien ees noms terribles qui signifient en grec «Ter-, reur i> et « Effroi ». Les paisibles Martiens s'animèrent et passèrent'! plus fréquemment à l’observatoire I d’Enno pour contempler leur pays- natal. Je regardais, moi aussi, mais comprenais mal ce que je voyais, malgré les patientes explications1 d’Enno. Là-bas, il y avait évidem¬ ment beaucoup de ‘ choses , étranges à .mes yeux.
Les taches routes représentaient' des forêts et des prairies et les ta¬ ches tout a fait sombres, des champs! prêts pour la moisson. Les villes,: apparaissaient sou* forme de taches’ bleuâtres et, seules, l’eau et la nei¬ ge étaient d’une teinte compréhen--j sible pour moi. Le joyeux Enncr m’obligeait parfois à deviner ce, que je voyais dans le champ visuel de l'appareil et mes erreurs naïves l’amusaient fort, ainsi que Netti. De mon côté, je les payais de retour- par des plaisanteries, appelant leur ] planète un royaume de chouettes sa¬ vantes et de couleurs embrouillées.
Les dimensions du disque crois¬ saient de plus en plus. Il surpassa bientôt de beaucoup le petit cercle solaire qui rapetissait et ressemblait^ à une carte astronomique sans ins¬ criptions. La force de pesanteur augmentait sans cesse, ce qtli était étonnamment agréable polir p?nj
Deimos et Phobos, points brillants, se convertissaient en petits cercles distinctement -tracés.
Encore quinze, vingt heures et voi¬ ci Mars épanouie au-dessus de nous, telle une sphère plane. De mes pro¬ pres yeux, je vois plus que sur tou¬ tes les cartes astronomiques de nos savants. Le disque de Deimos glisse sur cette carte ronde et Phobos n’est plus visible : elle se trouve maintenant de l'autre côté de la planète.
Tous se réjouissent autour de moi; seul, je ne- puis vaincre une attente inquiète et angoissée.
Plus près, plus près encore... Per¬ sonne n’est, capable de s’occuper de quoi que ce soit. Tous regardent en bas où se déploie Un autre monde, pour eux . très cher, pour moi plein de mystère et d’énigme. Menni seul manque parmi nous, il esl à la ma¬ chine ; les dernières heures sont les plus dangereuses, il faut vérifier la distance et régulariser la vitesse.
Qu'ai-je donc, involontaire Colomb de ce monde, à ne ressentir ni joie ni fierté, ni môme cet apaisement que doit apporter la vue d’une terre ferme après un long parcours à tra¬ vers l’Océan de l'intangible ?
Les événements à venir projettent déjà une ombre sur le présent.
I] ne peste plus que deux heures. -
Mous nous engageons bientôt dans la zone atmosphérique. Mon cœur com¬ mence A battre douloureusement •; je ne puis plus règarder et vais dans ma ch.amhre. Netti nie suit.
Il me parie, non du présent, mais du passé, de la Terre lointaine, là- bas, tout là-haüt.
— Vous devez encore retourner là-bas quand vous aurez accompli voire tâche, dit-il,, et ses mots ré¬ sonnent en moi comme un délicat rappel de vaillance.
Nous parlons de celte lâche, de sa nécessité et de ses difficultés. ILe temps passe inaperçu pour moi.
Netti regarde le chronomètre. Nous sommes arrivés, allons à lui, dit-il.
L’étheronef s’est immobilisé, les larges plaques métalliques s'écar¬ tent, l’air frais s'engouffre à l’inté¬ rieur. Au-dessus de nous, un ciel bleu-vert, pur. Autour de nous, des foules...
Menni et Slerni sortent les pre¬ miers. Ils porlent daiis leurs bras le cercueil transparent où repose le corps glacé du camarade perdu, Letta.
Derrière eux, viennent tous les au¬ tres. Nous sortons, Netti et moi, les derniers et ensemble, la main dans la main, nous avançons au milieu d’une foule innombrable d’êtres sem¬ blables à lui...
DEUXIEME PARTIE
I. — CHEZ MENNI
Les premiers temps, j’habitai chez Menni, dans la ville industrielle dont un grand laboratoire chimique établi sous terre constituait le cen- Ire et la base. La partie extérieure de la ville s'élendait au milieu d'un parc sur un espace d'une dizaine de kilomètres carrés. Il y avait quel¬ ques centaines d’habitation?, des tra¬ vailleurs du laboratoire, la grande Maison des Assemblées. l’Entrepôt des Marchandises (sorte de magasin uni verse Ij et la Station des Commu¬ nications qui relie la ville chimi¬ que au reste du monde. Menni, di¬ recteur de tous les travaux, habitait à proximité des édifices publics, non loin de l’entrée principale du labora¬ toire.
Là première chose qui me frappa dans la nature de Mars, et à quoi il nie fut le plus difficilè de m'accou¬ tumer, c’est la couleur rouge des plantes. Leur substance colorante, dont la composition est extrêmement proche de la chlorophylle des plan¬ tes terrestres, a un rôle tout à fait analogue dans l’économie vivante de la nature : elle crée le tissu des plantes au moyen de l’acide carbo¬ nique de l’air et de l’énergie des rayons • solaires.
Netti, toujours.’' attentionné,, me
proposa de porter des limettes pré¬ servatrices pour me garantir les yeux contre l’irritation inaccoutu¬ mée. Je refusai.
— Celle couleur est celle de notre drapeau socialiste, dis-je. Il faut donc bien me familiariser avec votre nature socialiste...
— S'ii en est ainsi, reconnaissons que dans la flore terrestre aussi on trouve du socialisme, mais sous un aspect dissimulé, remarqua Menni. Les feuilles des plantes terrestres ont aussi une nuance rouge, seule¬ ment masquée d'un vert beaucoup plus fort. 11 suffit de porter des lu¬ nettes absorbant les rayons verts et laissant filtrer les rouges pour que vos forêts et vos champs deviennent rouges comme chez nous.
Je ne puis perdre du temps et de la place à décrire les formes origi¬ nales des plantes et des animaux sur Mars, ni'son atmosphère pure, dia¬ phane, comparativement raréfiée mais riche en oxygène, ni son ciel profond et sofnbre d’une teinte ver¬ te, ni son soleil amaigri, ses petites lunes et ses deux brillantes étoiles, matinales ou vespérales : Vénus et la Terre. Tout cela, étrange et inso¬ lite alors, me semble cher et mer¬ veilleux maintenant, à la lumière des souvenirs ; mais ce u’esi pas lié étroitement au thème de oion répit.
ItMllllWlliWtimit.lMillHJIMUliMlUMlhMIlliaDlUIHUMUlliaL.
Les êtres, humains et leurs rapports, voilà ce qui m’importe et, dans ce décor féerique, ils furent justement les plus fantastiques et les plus énigmatiques.
Menni vivait daas une petite mai¬ son à deux étages dont l’architectu¬ re ne se' distinguait pas des autres. Le trait le plus original consistait en un toit transparent fait de quelques larges plaques de verre bleu. Immé¬ diatement sous le toit, se trouvait la chambre a coucher et une pièce . pbur causer entre amis. Les Mar¬ tiens passent les heures de repos dans, l’éclairage bleu à cause de son action apaisante ; la teinte sombre a nos veux donnéq au visage humain, par cet éclairage ne leur semble pas désagréable.
Toutes les salles de travail, bu¬ reau, laboratoire domestique, cham¬ bre des communications, se trou-; vaient à l’étage inférieur dont les, grandes fenêtres laissaient libres ment pénétrer de? flots de couleur rouge projetés par le , feuillage des arbres, du parc. Cette lumière qui, dans tes débuts me rendait inquiet et distrait, semble être pour les Mar¬ tiens un stimulant au travail,
(A suivre.)
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N° 17. Feuilleton du Populaire. 20-S-S6
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Alexandre Bogdanov
ROUGE
T raduit du russe par Colette Peignot
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Manuscrit de Léonide
DEUXIEME PARTIE I. — CHEZ ME.Y\1 Dans le cabinet de Menni, beau-r coup de livres et. divers instruments pour écrire, depuis lés: 'simples crayons jusqu'aux dictapiiones. te dernier appareil est fait, d’un méca¬ nisme compliqué grâce auquel l en-
llllHnimillipiliiHMiüHHÜMIflülflRlüWüllHIil'HiiriKI'HI'BlllItKM'üiMüHiWüllHlüH IlUiHIliiBIlinliliBHlillHilHIlilMIIIHIllHlïlHIliMiSIHiliiSlii'IHIiliHilHIliiBllliBIIIIBIIIinillHlIHIKHIiüHlIHÜIüHiHim
registrement du. phonographe trans- maladie. et' le mécontentèrent .gro.n- met par un leyiër dé machine a j dàit parmi les survivants. Àü '-ma*-
t X.-. _ ’ c. u -
écrire la prononciation précise des mots. Ainsi, 1 on bbtierit une traduc¬ tion exacte du texte dans l’atphabet ordinaire. En outre ,1e. phonogram¬ me se conserve en son entier de sorte quson puisse l'ùtilisër dè même en traduction imprimée, selon ce qui Sèthble le, plus pratique. .Ç< Aü-dess-us'de .la tàl)le à écrire,, était suspendu le portrait J, 'd’un Martien d’âge moyen. J>s- traits - dû ;visâgç rappelaient fbrteirieml. ceux/de Meri- ni/rnais s’en différenciaient par. une expression d’énérgie sévère et de froide résolution, presque terrible et fort étrangère à celle de Menni qui reflétait toujours urie volonté câline et sûre. M'emti- nie raconta: ['histoire de cet homme. . /
.‘C’élnil. un de ses ancêtres, grand ingénieur. II. .avait vécût longtemps avant la révolution sociale/ à l’épo¬ que du percement, des grands canaux; ces travaux grandioses furent orga¬ nisés d’après’ ses plans et exécutés sous sadirection.Son premier, cqllabo- ratéur, envieux de sa gloire et de sa puissance, ourdit une intrigue contre lui. 'Un 'dés canaux principaux; au¬ quel travaillaient quelques centaines de milliers d’hommes, traversait lé? marécages d’une région : insalubre- Des milliers d ouvriers mouraient de
ment même où rjngëpieùr en chef était • en p o unp a r 1 er s-a vec-l e gouver¬ nement au sujet des pensioüs à accor¬ der aux familles des victijriës, et: à ceux qui avaient perdu, leur capa¬ cité ; de travail, son . premier collar borateûr fit. de; l’agitation parmi les mécontents : il les incita à- se imeitre en grève eti à "exiger lejiransffrt /dés travaux ailleurs ^revendication ir¬ réalisable . car elle teût icontrecarré ioufc.le plan des .grands- trgvpux) .et là dénnssison de.'i’îngéhieprj eh chef, ce qui était évidemment . pofesible. Qw.and céltit-cj fut informai il invita étiez' lui son çollaborâlëur a. s'expli¬ quer et je tua sur placé/ Au procès, l’ingéniéiir se refusa à -toute espèce dè défense et déclara, seulement qn’jl estimait son acte juste et indispen¬ sable; On le condamna; à'dèno’iribreu- ses années de prison. ' •
; Mais il s’avéra ‘ bientôt q'u’aUcun des ingénieurs, n’était de taille, à di¬ riger l’organisation* colossale 'des travaux;, les malentendus commen¬ cèrent, lés désordres, lés dilapida¬ tions,, tout le mécanisme de l'affairé ?e détraqua, les. dépensés s’accrurent de ■.centaines de millions e t le/niécon- teivtemenl- des ouvriers -menaçait dé tourner à- l’imsèrrèctiphs Lè'-gôüver- némen’t- se hâta' dé : s'adresser- à ! l’an¬
cien ingéneur, on lui proposa la grâce et "la- réintégration dans ses fonctions. II -refusa résolument toute grâce mais -consentit à diriger de la prison les travaux.
Ties inspecteurs désignés, par lui éolajrcirenf rapidement sûr place la situation, : à la .suite de. quoi, des. mil¬ liers dungéniéiirs et d’ent repreneurs, congédiés j passèrent, ep jugemènt.Les àâlaSrésv furent- augmenté*, t’appro- visiohnerpent de* travailleurs en aourriture*:ëè :h’abits è,l en oiitils - r.é- tirgâni&é, les plans des lraya.ux re¬ vu s” :ét corrigés. Bientôt, lordr* : trouva pieftiëiiïenl .•rétabli* et . lîénbr- (vift mécanisme ’rétriis en . marche, exactement 'commé’ "un outil docile entre leà mains d’un maitrerarüsan.
Le /maître ne dirigeait pas àeulêr méiii; Coûte ■•l’entreprise; il élaborait je plan de* travaux à venir et, en mè¬ mè temps,’. formait, en la personne d’.un ingénieur énergique, un rempla¬ çant sorti dû milîeû ouvrier. A l’expi- ratîon/de’ sa’ peiné, 'tout avait été si bien préparé .que. le maitçeûngénieur jugea .possible , de confier sans dan- géitj'cfeüîfi'e à’ d’autres mains. Au mo- mentf . unième où le premier ministre vint, g la? prison pour. le libérer, l’in¬ génieur. én chef se -.suicida.
Quand -Menni me raconta tout cela, son : visage èhangèa ’ étrangement/; ,j’ÿ voyais cette expression dé’ rlgiïeùr
inflexible qui le faisait ressembler tout à fait à son ancêtre. Et je sen¬ tis combien lui était proche, cet homme mort depuis plus de cent an*.
La chambre des communications était la pièce centrale de l’étage in¬ férieur. De* téléphones et des appa¬ reils d’optique correspondant? trans- i’neltaiênt a n’importe quelle distan¬ ce’ l’image, de ce qui se passait, de¬ vant eux. Quelques-uns . des instru¬ ment* -reliaient. l'habitation de Men¬ ni à la Station’ des Cohiinuni-eàtions et, de là, à toutes les maisons de la ville et à toutes les villes lie la pla¬ nète. D'autres servaient de liens avec le laboratoire souterrain que diri¬ geait. Menni ; ils étaient .cnnlinuelle- iuenL en activité : sur quelques pla¬ qués finement quadrillées, on voyait en petit dés salles claires où se trour .vaient de grandes machines métalli¬ ques, des appareils de verre et. de¬ vant, de* dizaines et des centaines de travailleurs. Je priai Menni de m'emmener avec lui au laboratoire.
; — C’esl difficile, répondil-il. On- se livre ià-bas à des travaux sur la matière dans ses états. instables, et aussi restreints que soient les ris¬ ques d’explosioh ou d’inloxicalipn par lés rayons invisibles, le danger existe en'dépit dé toutes nos précau¬ tions. 'Tous ne devez pas vous expo¬ ser parce que, vous êtes unique chéz
nous et qu’il n'y aurait personne poilr, yoùS; remplacer. ’ / -
Dans le laboratoire personnel , de M enni se. trou valent toujours le* ap¬ pareils et -les matériaux :se rappor¬ tant exclusivement, à se? recherches du moment: v ;<-■-> :
Dans Je couloir -d-e. l’étage * inté¬ rieur, une nacelle aérienne élait suspendue ail plafond ; on' pouvait’ à tout’ moment y prendre place pour Se diriger .n’imlpdfcte, où. , "' \
— Où habite Nètti ? demandai-je à Menni., ■ > ■ ■ . *‘
u— Dans -la grande ville k deux heures pâivlâ* voie des a irs. Tl ; s’y trouve une usine de construction de machines qui occupe quelques dizai¬ nes de niiiMiérsi'-d’npvrieds/ G’ést; là un champ d’expériénees plus vaste pour les recherches médicales de M et I i. fci-iïiênie, nous avons un autre médecin .
— Me sdra-t-il intçrdit de visiter, à l’occasion; 1 usine des machines V-
— Naturellement, non. On n’y court aucup danger. Si vous voulez, nous irons ensemble dè?’ demain. ,
• Ainsi fut, fait. .
; ; II. —.A L’USINE •
Environ cinq cents kilomètres en deux heures, c’est la vitesse du’ plus rapide yoLde faucon, vitesse 'que nos trains 'électriques n’oût- pas encore
atteinte-. - En bas, d’étranges paysa¬ ges /inconnus, se déroulent en inces¬ sante- succession ; plu* rapides, en¬ core,’ dès- Oiseaux nous frôlent, tout aussi étranges et inconnus. Les rayons- du soleil flamboient, bleu* sur les loits dés maisons, jauneS sur les coupoles de quelques édifices. Les rivières .et les canaux brillent, tels ! des rubans d’acier ; mes yeux sè -reposent ’siir eux parce qu’ils sont tbut k. fait semblables à ceux de, la Terre. ! Voici une ville 'immense au loin, elle apparaît,-, dressée autour •i’un -petit lac et coupée d un canal. La nacelle ralentit sa course et se Ijose. légère. -auprès d’une jolie rnat- soir ; celle de Netti.
'• Ueliii-ci ’ était chez lui et nous acè-ueillil avec joie. Il prit place dans noire- nacelle et nous nous diri- ge'cVmes plus loin : l’usine était en¬ core k quelques kilomètres de l’au¬ tre côté du lac.
(A suivrt.)
ET
SECTIONS, MILITANTS MUNICIPALITES DU PARTI
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N° 18. Feuilleton du Populaire. 21-8-36.
S Alexandre Bogdanov £
L'ETOILE
ROUGE
T raduil du Tusse par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
DEUXIEME PARTIE II. — A L’USINE
Cinq bâtiments énormes, disposés eu forme de croix, tous de même structure : une voûte de verre im¬ maculé reposant sur quelques di¬ zaines de sombres colonnas formant cercle ou ellipse peu étendue ; entre
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les colonnes, les mêmes plaques de verre alternativement mates et transparentes, constituent le mur Nous nous arrêtâmes près du corps <ie bâtiment' central, le plu? grand, devant les portes qui, de colonne en colonne, occupaient un intervalle entier de dix mètres de large et douze mètres de haut. Le plafond du premier étage barrait horizonta¬ lement par le milieu l’espace de la porte-; quelques doubles rails péné¬ traient par cette porte et se per¬ daient, à l’intérieur du bâtiment..
Nous voguâmes vers la moitié su¬ périeure de la porte et, assourdis par le bruit des machines, atteignîmes le deuxième étage. Toutefois, ce n’était pas un étage indépendant au sens exact du mot mais plutôt un réseau dp petits ponts aériens entre¬ laçant de toutes parts de formida¬ bles machines dont la structure m’était inconnue. A quelques mètres au-dessus, un autre réseau sembla¬ ble, plus haut encore un troisième, un quatrième, puis un cinquième ; tous, faits d’un parquet do verre enserré par des solives de . fer, re¬ liés par de nombreux ascenseurs et d’escaliers, et chacun plus petit que le précédent
Ni fumée, ni suie, ni odeur, ni fine poussière. Dans une atmosphère pure et fraîche, les machines inondées
d’une lumière tamisée et péné¬ trante travaillaient sur un rythme harmonieux et mesuré. Elles tran¬ chaient, limaient, rabotaient, perfo¬ raient d’énormes morceaux de fer, d’aluminium, de nickel,- de cuivre. Les leviers, semblables à de gigan¬ tesques mains d’acier, se mouvaient régulièrement et doucement: j'i. , grandes plates-formes allaient d’a¬ vant en arrière avec une exactitude .élémentaire; les roues et les -cour¬ roies de transmission semblaient, immobiles. Ce n'était pas la force brute du feu et de la vapeur, mai!? une force subtile et plus puissante encore, celle de l’électricité, qui était l'âme de cette machine redou¬ table.
Le bruit même des machinés, quand l’oreille s’y accoutumait, commençait à paraître presque mé¬ lodieux, sauf au moment où tombe le marteau-pilon de quelques mil¬ liers de tonnes, car alors tout trem¬ ble dans un coup de tonnerre.
Des centaines d'ouvriers allaient et venaient avec assurance entre les machines ; ni leurs pas, ni leurs voix n’étaient perceptible? dans celte mer de bruits, L'expression des visages ne reflétait aucun effort, pé¬ nible mais seulement une attention calme. Ils ressemblaient à des obser¬ vateurs compétents, épris de scien¬
ce, et qui ne seraient eux-mêmes pour rien dans tout, ce qui se passe. Simplement, il était intéressant pour eux de voir comment d’énormes morceaux de métal tombent des pla¬ tes-formes mouvantes sous la cou¬ pole Vitrée, dans les étreinte? métal¬ liques des sombres monstres : com¬ ment, -ces monstres, ensuite, les broient dans leurs fortes mâchoi¬ res, les agitent de leurs pattes lourdes et, dures,;, les rabotent et. les percent avec leurs griffes brillantes et acérées: comment, enlin, les dé¬ bris de ce jeu cruel sont, em¬ portés d’un autre côté du bâti¬ ment par de -légers wagon? électri¬ ques, sous forme d’accessoires de machines fini? et délicats, à destina¬ tion énigmatique. Il paraissait I ou I nature] que les monstres d’acier ne louchassent pas aux .petits contem¬ plateur? à grands yeux qui se pro¬ menaient de confiance parmi eux : r, ’élail mépris de leur faiblesse, dé¬ dain d'une prise trop minime et indigne de la force terrible des géants. Il y avait lâ des fils invisibles et insaisissables qui reliaient le ten¬ dre cerveau des hommes aux or¬ gane? indomptables de la machine.
Quand nous sortîmes enlin de l’usine, le technicien qui nous con¬ duisait demanda si nous désirions visiter de suite les autres bâtiments
| et les dépendances, ou si nous préfé- [ rions nous interrompre pour pren¬ dre du repos. J’optai pour l’inter¬ ruption.
— J’ai vu le? machines et les ou¬ vriers, (lis-je, mais je ne nie repré¬ sente .nullement l’organisation du travail. C'est à ce sujet que je vou¬ drais vous questionner.
En guise de réponse, le technicien nous mena vers une poliie construc¬ tion de forme cubique, située entre !o bâtiment central el l’un des b⬠timents- d’angle. Il y avait, trois constructions semblables disposées de la même façon. Leurs murs noirs étaient couverts de bl-illants signes blancs qui représentaient les la- bleaux statistiques du travail. Je connaissais déjà suffisamment la langue pour les déchiffrer. Sur l’un, marqué du numéro 1, il était ins¬ crit :
« La fabrication des machines dis¬ pose d’un excédent de 968.757 heu¬ res de travail chaque jour, dont 11.325 heures de spécialistes expé¬ rimentés.
« Dans cette usine, l’excédent est de 753 heures, dont 29 de spécialis¬ as expérimentés.
« Les entreprises suivantes ne manquent pas de main-d’œuvre : agricoles, charbonnières, chimiques, terrassements... », etc.
Différer, Is secteurs du travail étaient énumérés par ordre alphabé- I ique.
Sur ic tableau numéro 2 on lisait :
« La fabrication des vêlements a encore un besoin journalier de 392.085 heures de travail, dont 21.380 heures de mécaniciens expé¬ rimentés poqr machines spéciales et. 7.852 heures d’organisateurs spécia¬ lisés.
« La fabrication des chaussures a besoin de 79.300 heures, dont... », etc.
« Institut de comptabilité : 3.078 heures... », etc.
Le contenu des tableaux 3 et 4 était Je même. Dans la liste des sec- leurs du travail, on trouvait ceux de l’éducation des enfants en bas âge, de 'l’éducation des enfants d’⬠ge moyen, de la médecine des villes, de la médecine des districts ruraux et ainsi de suite.
— Pourquoi l’excédent de travail n’est-il indiqué avec précision que dans la fabrication dos machines et le besoin de main-d'œuvre noté par¬ tout. avec de tels détails ? deman¬ dai-je.
— C’est très -compréhensible, ré¬ pondit Memii : il faut au moyen des tableaux, influencer la réparti¬ tion, dû travail; pour cela, il est in¬ dispensable que chacun puisse voir où manque la main-d’œuvre et dans
IBIiliBllliBIIIIBIÜIBIIliBlIlIBIIIIBililBIiHIllIfllIüBl'IBIIlIB
j quelle mesure. Avec des dispositions identiques, ou à peu près égales, pour deux emplois, un lunnme choi¬ sit celui d’entre eux où la pénurie de travailleurs: est- Inclus- forte. I! suffit d avoir les* données exactes sur l’excédent de travail là où il se fait sentir, afin que chaque ouvrier dans ce domaine puisse consciem¬ ment tenir compte, et du degré de l'excédent, et du degré de son in¬ clination à changer d’emploi.
Pendant que nous causions de la SfR'le, je remarquais que quelques chiffres, disparus du (aideau, étaient immédiatement remplacés par d'au¬ tres. Je demandais ce que -cela si¬ gnifiait.
— Lés chiffres changent à cha¬ que heure, expliqua .Menai. En une heure, quelques milliers .d'hommes ont pu exprimer le désir de passer d’un travail à un nuire. Le méca¬ nisme de statistique .centrale enre¬ gistre cela constamment et une transmission électrique, répand ses communications heure par heure.
— Mais de. quelle ma’nière la'sta- tisfique centrale établit-elle ses chiffres d’exrédent ou de défaut de main-d’œuvre ?
(A suivre.)
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N° 19. Feuilleton du Populaire. 22-8-36
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Manuscrit de Léonide
DEUXIEME PARTIE II. - A L’USINE
— L’institut de comptabilité a partout des agences qui se tiennent au courant du mouvement des pro¬ duits dans les entrepôts, du rende¬ ment de toutes les entreprises et ges variation? qui s’y accomplis¬
sent dans l’effectif du personnel. Par ce moyen, on sait exactement ce qu'il faut produire et quelles quantités, dans un dé'ai déterminé, ainsi que le nombre d'heures de tra¬ vail exigées à cet effet. Ensuite, il incombe à l'institut de calculer, pour chaque secteur du travail, la différence entre ce qui est et ce qui devrait être, afin d’en donner con¬ naissance partout. I/afflux des vo¬ lontaires rétablit ailors l’équilibre.
— Mais la consommation des pro¬ duits n’est-elle limitée en rien ?
— En rien, absolument. Chacun prend ce dont il a besoin et dans la quantité voulue.
— Et l’on n’exigo rien qui res¬ semble à de l’argent V Aucun témoi¬ gnage de la somme de travail ac¬ compli ou à accomplir, ou quoi que ce soit de ce genre ?
■ — Rien de- tel. Môme sans mon¬ naie, il n’y a jamais chez nous in¬ suffisance de travail libre : le tra¬ vail est un besoin naturel de l’hom¬ me social évolué et tous les aspects, masqués ou apparents, de la con¬ trainte au travail sont absolument superflus pour nous.
— Mais si la consommation n'est limitée en rien, n’est-elle pas sujet¬ te à des oscillations brusques sus¬ ceptibles de renverser toutes les données statistiques ?
— Evidemment non. Il se peut qu’un homme en particulier se met¬ te à manger de telle ou telle nour¬ riture en quantité deux ou trois foi,s plus grande que d'habitude, ou veuille changer dix fois de costu¬ me en dix jours; mais une société de trois milliards d’individus n’est pas exposée à de telles variations. V une aussi large échelle, les écarts d'un côté et de l’autre se compen¬ sent, les grandeurs moyennes va¬ rient très lentement, d’une manière strictement continue.
— Ainsi, votre statistique fonc¬ tionne pour ainsi dire automatique¬ ment : de simples calculs, rien de plus ?
— Mais non. les difficultés sont très grandes. L’institut de compta¬ bilité doit suivre de près les nouvel¬ les inventions et les changements des conditions naturelles de produc¬ tion. pour les escompter avec préci¬ sion. Met-on en usage une nouvelle machine ? Bile exige de suite un dé¬ placement de main-d'œuvre, tant dans le secteur où elle est utilisée que dans la construction des machi¬ nes et, parfois, dans la fabrication du matériel dpsliné à l’un et l'autre secteur. Une mine est-elle épuisée ? De nouvelles richesses minérales •sont-elles découvertes V Une fois de plus, déplacement de main-d’œuvre dans toute une série de branches de
! de la production : charbonnages, constructions de 'voies ferrées, etc. 11 faut calculer cela depuis le début, sinon tout à fait exacte¬ ment, au moins avec une approxi¬ mation suffisante ; ce n'est pas du tout facile, tant que l’on n’a pas les données de l'observation, di¬ recte.
— Devant de pareilles difficultés, rernarquai-je, il est indispensable d'avoir constamment quelque excé¬ dent de travailleurs en réserve.
— Justement, c’est en quoi con¬ siste le prinrjnal soutien de notre système. Il ÿ a deux cents ans, quand le .travail "collectif suffisait, tant bien que mal, à satisfaire tous les besoins de la société, une précision rigoureuse était indispensable dans les calculs, et la répartition du tra¬ vail ne pouvait môme s'effectuer en toute liberté : il existait une jour¬ née de travail obligatoire, dans les limites de laquelle on ne pouvait toujours et pleinement compter avec la vocatioh dès camarades. Mais chaque invention, tout en créant à la statistique des difficultés tempo¬ raires, allégeait la tâche principale: la transition vers une liberté illi¬ mitée du travail. Au début, la jour¬ née de travail fut écourtée, ensuite apparut dans tout les Secteurs de la production un excédent et toute obligation fut définitivement abolie,
Remarquez que les chiffres indi¬ quant le manque de travail sont in¬ signifiants pour chaque secteur : milliers, dizaines, centaines de mil¬ liers d’heures, pas plus. Et cela, pour des millions et des dizaines de mil¬ lions d'heures dépensées dans ces mêmes secteurs.
— Cependant, le manque de tra¬ vail subsiste aussi, opposai-je. Il est vrai qu'il se trouve sans doute cou¬ vert par l’excédent qui le suit. Est- ce bien cela ?
— Pas seulement par l’excédent suivant. En réalité, le calcul même du travail nécessaire est fait de tel¬ le sorte qu’au chiffre de base s’a¬ joutent encore quelques quantités. Dans les domaines les. plus impor- fants pour la société, dans la pro¬ duction des aliments, des vêtements, des maisons, des machines, ce sup¬ plément atteint 5 p. 100, dans les do¬ maines moins importants. 1,2 p. 100. Ainsi, les chiffres de déficit, inscrits sur ces tableaux n’exprimem-ils, en général, qu’un déficit relatif, et non absolu. Si les dizaines et les centai¬ nes de milliers d’heures indiquées ici n'avaient pas été complétées, ce¬ la ne signifierait pas encore que la société souffre du manque de pro¬ duits.
— Combien de temps chacun tra¬ vaille-t-il par jour, dans cette usi¬ ne, par exemple ?
BIIItBIlIlBIttlBIlliailIIBlIIlBIlIlBItlIBIIIIBItttBtilIBIIliBjütBI)
— La plus grande partie, deux heures, une heure et demie, deux heures et demie, répondit le techni¬ cien; mais il arrive que ce soit plus ou moins. Ainsi, le camarade qui dirige le marteau- pilon est captivé par sa Lâche au point de ne laisser personne le relayer pendant toute la durée d'ouverture de l’usine, c’est- à-dire six heures par. jour.
Je convertis mentalement en lan¬ gage terrestre tous ces chiffres martiens selon lesquels la journée est un peu plus longue que la nôtre et divisée, en dix heures. Il appa¬ raissait que la journée normale de travail correspondait à quatre, cinq, six de nos heures ; et la plus lon¬ gue, à quinze heures, c’est-à-dire, comme chez nous, sur la terre, dans les entreprises les plus exploiteuses.
— N’est-il pas nuisible au cama¬ rade du marteau-pilon de travailler si longtemps ? questionnai-je. ’
— Jusqu'à présent, non, répondit Netti. Il pourra se permettre ce luxe pendant six mois encore. Mais, natu¬ rellement. je l’ai prévenu des dan¬ gers qu’implique sa frénésie. L’un d'eux est l’éventualité d'un accès de folie qui, avec une force invincible, le précipilerait sous le marteau. L’année dernière, un caç. semblable s’est produit dans cette même usi¬ ne, avec 'un autre mécanicien, lui aussi amateur de sensations fortes.
Seul, un heureux hasard a permis d’arrêter le marteau et d’empêcher le suicide involontaire. La soif de sensations fortes n'est pas encore en soi une maladie, mais risque de le devenir dès que le système nerveux est tant soit peu ébranlé par le sur¬ menage, les épreuves morales ou quelque autre maladie accidentelle. En général, je ne perds pas de vue les camarades qui se donnent sans mesure à un travail uniforme, quel qu’il soit.
— Mais le camarade dont nous parlons ne devrait-il pas se restrein¬ dre, en raison de l'excédent constaté dans la production des machines ?
— Evidemment, non ! s’exclama Meniii en souriant. Pourquoi, lui. précisément, devrait-il rétablir l'é¬ quilibre à son compte ? La statisti¬ que; n’oblige personne à rien. Cha¬ cun la prend en considération selon ses propres supputations, mais ne peut se déterminer nar elle seule. Si vous aviez désiré etre embauché à cette usine, on vous aurait vraisem¬ blablement trouvé un emploi, et la statistique centrale aurait enregistré un excédent d'une ou deux heures, en tout et pour tout. La statistique influe sur les changements massifs, mais chaque individualité est .libre,
U. suivre.)
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|lUl^linMBIMlllMllli«il!MlllipillMHIMIIllBll1lBiniMll[MlilMini«liiMiLjlipmi«llllMllllMlilMlllliMlllliil!llM!li«[ilMI)IMlHlBli!lWllli[Wllll»lill«IIIWi|il«lllMlilMIIMIÜiMlllMi[llMli;!W
■MH iB]ilB11iBliiBlilB!iiB!!!Bl!liBli:iBljllBffiBI!IIBii!BII!BllilBlliBi!liBII!IBIIIIBIiliBliîlB]!!BiNiB!IIIBI!llBI!!IBIIIIBIIIIBI!IIBIillBI!!IBIil!B|[IIBIIIBfflBliBBBIIIIB
N* 20 a. ■ ■ L’ |
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Alexandre Bogdanov |
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8 T raduil du russe ? par Colette Peignot |
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Manuscrit de Léonide
DEUXIEME PARTIE U. - A L’USINE
Durant, cet entretien, nous nous étions suffisamment reposés pour aller plus loin et continuer • ia visite de l’usine. Ménni rentra clie:: lui. on l’appelait, au; laboratoire. ?
Le soir, je décidai de rester -chez
Nèlli : il: promit de m’emmener, le jour suivant, à la «Maison des en¬ fants » où sa mère était l’une des éducatrices.
III. - LA « MAISON DES ENFANTS »
‘La « Maison des enfants » occu¬ pait' tout lin quartier important, le meilleur de la ville, peuplé de quin¬ ze à- vingt mille habitants. En fait, celle population se composait pres¬ que exclusivement d’enfants et de leurs éducateurs- Il existe, dans tou¬ tes les grandes villes de la planète, de semblables établissements qui, dans bien des cas, constituent de vé¬ ritables villes indépendants : c'est seulement dans de petites agglomé¬ rations comme celle de la •« - ville. chi- n.ique » (le Menni que l’on n’en trou¬ ve pas.
De grandes maisons à déux étages et aux habituels toits bleus étaient disséminées dans des jardins agré¬ mentés ne ruisseaux, d’étangs, de terrains de jeux et de gymnastique, de plates-bandes, de fleurs et d’heiv bes potagères, de maisonnettes pour tes' animaux domestiques et les oi¬ seaux... Une multitude d’enfants aux grands yeux et d’on ne sait, quel sexe grâce au costume identique pour garçons et ; filles---. Il est vrai quer parmi les Martiens adultes il est également difficile de distinguer les hommes des femmes d’après le
costume qui comporte seulement quelque différence de style. Le cos¬ tume des hommes moule davantage les formes du corps, celui des fem¬ mes a piulôt tendance à les mas¬ quer. En tout cas, la personne plutôt âgée qui nous accueillit à la des¬ cente de la nacelle, devant , les por¬ tes d'une des plus grandes maisons, élait à n'en pas douter une femme, car Net I i en l’embrassant l’appela « Maman ». Toutefois, au cours de la conversation qui devait suivre, il la désigna souvent comme toule au¬ tre camarade, simplement par son nom : Nella.
. La Martienne connaissait déjà l'objet de notre visite. Elle nous amena directement à la « Maison des enfants » et nous fit visiter les sections, à commencer par celle des aînés, limitée par l’adolescence. Les petits' monstres se joignirent à nous en chemin et nous suivirent en ob¬ servant, de leurs yeux immenses et avec intérêt l’homme d’une autre planèle : ils savaient bien à quelle espèce d'humanité j’appartenais et quand noiis fîmes le tour des derniè¬ res sections, une troupe entière nous accompagnait, bien que la majorité fut dispersée dans les jardins dès le .matin.
Environ trois cents enfants de tous âges habitaient, cette maison. Je demandai à Me lia pourquoi tous
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les âges se trouvaient mélangés et non séparés, chacun dans .une maison particulière, ce qui faciliterait con¬ sidérablement la division du travail entre éducaleurs et simplifierait leur lâche-
— Une telle organisation rendrait impossible l’éducalion réelle, me ré¬ pondit Nella. Pour recevoir une édu¬ cation sociale, tes enfants doivent, vivre en société et acquérir l’expé¬ rience et la connaissance de la vie, surfont les uns par les autres. Iso¬ ler un âge d'un autre, signifierait créer pour chaque un milieu vital exclusif et étroit, dans lequel le dé¬ veloppement de l’homme futur s’ac¬ complirait par trop uniformément, avec lenteur et monotonie. La dif¬ férence d'âge donne plus de champ à l’activité directe. Les aînés des enfants sont nos meilleurs auxiliai¬ res auprès des plus jeunes. Non seu¬ lement nous mélangeons sciemment les âges les plus divers, mais nous nous efforçons de rechercher pour chaque maison d’enfants des éduca¬ leurs d'âges variés et de spécialités pratiques différentes.
— Toutefois, dans cette maison, les enfants sont répartis par section correspondant à leur âge ; cela sem¬ ble en désaccord avec ce que vous dites.
— Les enfants se rassemblent par sections pour dormir, dé.jeunér, sou¬ per ; là. il n’est pas nécessaire de
mélanger les âges. Mais, pour les jeux et les travaux il se groupent tou¬ jours comme il leur plaît. Lorsque des cours littéraires ou sci.entifiqyes ont lieu pour, les enfants d’une secr tion, 1'audiloire se compose égale¬ ment de nombreux enfants de toutes les autres sections. Ils choisissent eux-mêmes leur société et aiment, à fréquenter des camarades d’un autre âge que le leur, surtout des adul¬ tes:
— Nella ! dit à ce moment un ga¬ min, se détachant de la troupe : Esta a emporté ma barque que j'ai faiOri- quée moi-même ; prends la barque et rends-la moi.
— Où est-elle, Esta ? demanda Nella.
— Elle est allée à l'étang pour mettre la barque à l’eau, exphqua l’enfant.
— Eh bien ! je n’ai pas le temps d’aller là-bas maintenant ; qu’un des aînés aille donc avec (ni pour con¬ vaincre Esta de ne pas le faire de peine. Mais le mieux serait d’y aller tout seul et de l’aider à mettre la barque à l’eau ; il n'y a rien d’éton- nant à ce que la barque lui ait plu si elle est bien faite.
L’enfant' partit et Nella s’adressa aux autres :
— El vous, enfants ! vous feriez bien de, nous laisser seuls. Ce n’est pas très agréable pour l’étranger d’ê¬
tre ainsi examiné par cent yeux écar- qui liés. Imagine, Elvi, gu’une pareil¬ le foule d’étrangers te regarde atten¬ tivement. Que ferais-tu ?
— Je me sauverais, déclara brave¬ ment le plus proche de ta bande, interpellé.
Et tous les enfants de se disper¬ ser à la minute même avec des ri¬ res. Nous entrâmes dans le jardin.
— Oui, voyez quelle est la force du passé, dit en souriant l’éducatri¬ ce : il semble que le communisme soit total chez nous et qu’il n’y ait. ■ presque jamais rien à refuser aux enfants; où donc prennent-ils ce sen¬ timent de propriété individuelle V Un enfant arrive et dit : « ma » barque, que j’ai faite « moi-même ». Et cela arrive très souvent, parfois ils en viennent aux coups... Il n'y a rien à faire, c’est la loi universelle de la vie : l'évolution de l’organisme répète succinctement l’évolution de l’aspect de même que l’évolution de la personnalité répète celle de la so¬ ciété. L’auto-détermination de l’en¬ fant moyen ou grand a, dans la plu¬ part, des cas, un caractère confusé¬ ment individualiste. L’approchp de la puberté accentue encore cçtte nuance. C’est seulement au cours de l’adolescence que le milieu social actuel triomphe en définitive des vestiges du passé.
— Mais, faites-vous connaître aux enfants ce passé ? demandai-je.
— Naturellement ; et ils aiment beaucoup les conversations et les récits sur l'ancien temps. An début, ce sont pour eux de beaux contes un peu étranges d’un monde lointain. Cependant, les tableaux de combats et, de violences éveillent, dans la pro¬ fondeur alavique des instincts d’en¬ fants, de troubles résonances. C’est seulement par la suite, lorsqu’il a surmonté en lui-même les vestiges vivants du passé que l’enfant ap¬ prend à concevoir la chaîne au temps. Les récits imagés deviennent pour lui la réalité de l’histoire et s’insèrent dans les chaînons vivants de la continuité historique.
Nous allions par les allées d’un vaste jardin. De temps en temps, nous croisions deS groupes d’enfants occupés à des jeux : creusement de fossés, travaux manuels, construc¬ tions de cabanes ou simples conver¬ sations animées. Tous, s’en venaient autour de moi, mais personne ne nous suivait : ils étaient prévenus. La majorité des groupes rencontrés étaient d'âges mélangés, il s’y trou¬ vait même un ou deux adultes.
— Il y a beaucoup d’éducateurs dans votre maison, remarquai-je.
»
(A suivre.)]
4
N° 21. Feuilleton du Populaire. 24-8-36.
K Alexandre Bogdanov S
L'ETOILE
ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
DEUXIEME PARTIE ni. - LA « MAISON DES ENFANTS »
_ Oui, surtout si l’on compte par ¬ mi eux les enfants plus âgés. Mais nous avons seulement trois éduca¬ teurs spécialisés. Les autres adultes que vous voyez sont, pour la plupart, des mères et des pères qui habitent
chez nous provisoirement auprès de leurs enfants, ou des jeunes gens qui désirent étudier la question de l’é¬ ducation.
— Comment ? tous les parents qui le désirent peuvent habiter ici avec leurs enfants ?
— Oui, bien enlendu, et certaines mères vivent ici quelques années. Mais la plupart viennent de temps à autre pour une semaine, deux se¬ maines, ou un mois. Les pères vien¬ nent plus rarement encore. Dans no¬ tre maison, il y a en tout soixante chambres particulières pour les pa¬ rents, et pour les enfants qui' re¬ cherchent la solitude. Je ne me sou¬ viens pas que ces chambres aient jamais fait défaut.
— Alors, les enfanls aussi se refu¬ sent parfois à vivre dans des locaux communs ?
— Oui,’ les plus âgés préfèrent souvent vivre seuls. Là se manifeste en partie cet individualisme illimi¬ té dont je vous parlais, en partie une simple tendance à écarter tout ce qui distrait et disperse l’attention des enfants enclins à approfondir des études scientifiques. Parmi les adultes, ceux qui. chez' nous, sont absorbés par des recnerches scienti¬ fiques ou des créations artistiques aiment aussi à vivre séparémenl.
A ce moment, devant nous, dans
une prairie, nous remarquâmes un enfant de six à sept ans qui, bâton en main, pourchassait une bête. Nous accélérâmes le pas, l’enfant ne fit pas attention à nous. Gomme nous l’approchions, il atteignait sa proie, une sorte de grande grenouil¬ le à laquelle il asséna un fort coup de bâton. L’animal se traîna lente¬ ment dans 1 herbe avec une patte brisée.
— Pourquoi as-tu fait cela, Aldo •' demanda Nella avec calme. .
— Je ne pouvais pas arriver à l’at¬ traper, elle se sauvait tout le temps, expliqua le garçon.
— Et sais-tu ce que tu as fait ? tu as fait du mal à la grenouille, tu lui a cassé la patte. Donne ton b⬠ton, je vais t'expliquer cela.
Le petit garçon donna, la canne à Nella et, d’un mouvement rapide, celle-ci lui frappa violemment la main. Le garçon jeta un cri.
— Gela te fait mal, Aldo ? deman¬ da l’éducatrice, toujours aussi cal- nie
— Très mal, méchante Nella ! ré- pondit-il.
— Et tu as frappé la grenouille plus fort encore. Je t’ai seulement égratigné la main et tu lui as cassé la patte. Non seulement, elle souffre beaucoup plus que toi, mais elle ue peut maintenant ni courir, ni sauter,
elle ne pourra plus trouver sa nour¬ riture et mourra de faim; ou bien, de méchantes bétes la mordront sans qu’elle puisse se défendre. Que pen¬ ses-tu de cela, Aldo ?
L’enfant restait là, silencieux, des larmes de douleur aux yeux et te¬ nant, de sa main valide, la main meurtrie. Puis, il devint pensif et dit :
— Il faut réparer sa patte.
— Voilà qui est vrai, dit Netti. Tu vas voir, je vais t’apprendre com¬ ment il faut faire.
Ils saisirent immédiatement l’ani¬ mal blessé qui se traînait à quelques pas de là. Netti sortit son mouchoir, lo coupa en bandes, et Aldo, sur ses indications, lui apporta quelques fi--- nés brindilles. Ensuite, tous deux, avec le sérieux de vrais enfants ab¬ sorbés par une affaire très grave, se mirent à fixer un bandage solide sur la patte de la grenouille.
Bientôt, Netti et moi, nous nous disposâmes à rentrer à la maison.
— Mais, j’y songe ! dit Nella : vous auriez pu rencontrer ce soir, chez nous, votre vieil ami Enno. Il doit faire une conférence aux aînés sur la planète Vénus.
— Ainsi, il habile cette même vil¬ le ? questionnai-je.
— Non, l’observatoire où il travail¬
le se trouve à trois heures d’ici. Mais il aime beaucoup les enfants et il m’aime beaucoup, moi, sa vieil¬ le éducatrice. C’est pourquoi il vient souvent ici et, chaque fois, raconte aux enfants quelque chose d’intéres¬ sant.
Le soir, à l’heure indiquée, nous réapparûmes à la « Maison des en¬ fants », dans le grand auditorium où tous, sauf le? plus petits et quel¬ ques dizaines de grands, . se trou¬ vaient déjà rassemblés. Enno m’ac¬ cueillit avec joie.
— On dirait que j’ai choisi ce thè¬ me exprès pour vous, dit-il en plai¬ santant, Le retard.de votre planète et les mauvaises mœurs de votre humanité vous affligent. Or, je vais parler d’une planète dont les plus dignes représentants humains ne sont encore que les dinosaures et les pangolins volants, leur? mœurs pires que celles de votre bourgeoisie. Là- bas, le charbon ne brûle pas dans le feü du capitalisme mais croit enco¬ re sous forme de gigantesques fo¬ rêts. Irons-nous ensemble un de ces jours y chasser les ichtyosaures ? Ce sont les Rothschild ej les Rockefel¬ ler du lieu; beaucoup plus sobres,- il est vrai, que vos Terriens, mais en revauche beaucoup moins cultivés.
(A suivre.)
N* 22. Feuilleton du Populaire. 25-S-36.
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H Alexandre Bogdanov S |
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Traduit du russe par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
DEUXIEME PARTIE
ITT. — LA « MAISON' DÉS ENFANTS »
« Là-bas, c’est le règne fie l’accu¬ mulation la plus primitive, confinée cher vous dans le Capital de votre Marx... Mais Nella fronce le sourcil
considéré : je commence tout de suite. »
Il décrivit de manière captivante la lointaine planète, ses profonds océans tempétueux et ses montagnes d’une hauteur prodigieuse, son soleil brûlant et ses épais nuages blancs, ses ouragans terribles et se? orages, ses monstres difformes, ses plantes gigantesques et majestueuses. Il il¬ lustra tout cela de photographies animées sur l’écran qui occupait un mur entier de la salle. La voix d’Enno était seule perceptible dans l’obscu¬ rité, une profonde attention régnait dans la salle. Quand il décrivit l'es aventures des premiers voyageur? dans ce monde et raconta comment l’un d’eux tua d’une grenade à main un pangolin géant, il se produisit dans la salle une petite scène cu¬ rieuse et passée inaperçue de la ma¬ jorité du public. Aldo, qui était alors à côté de Nella, se mit à pleurer subitement.
— Qu’as-tu ? demanda Nella, se penchant vers lui.
— J'ai de la peine pour le monstre. 11 a eu très mal et il est tout à fa.t mort, répondit doucement- le petit garçon.
Nella embrassa l’enfant et lui- ex¬ pliqua quelque chose à mi-voix ; mais il ne se calma pas de si tôt.
et désapprouve mon bavardage in¬
Enno, cependant, parlait des in¬ nombrables richesse?, naturelles de cette merveilleuse planète, de ses chutes d’eau grandioses d’une force de cent millions de chevaux, des plus riches gisements de radium à une profondeur do quelques cen¬ taines de mètres, des provisions d’é¬ nergie pour des centaines de mil¬ liers d’années. Je né savais pas en¬ core assez la langue pour sentir la beauté de T'exposé, mais les images mêmes absorbaient, mon attention aussi complètement que celle des en¬ fants. Quand Enno eut terminé et que la salle fut éclairée, je ressen¬ tis de la tristesse comme il arrive aux enfants à la fin d’une belle his¬ toire.
La leçon finie, commencèrent los questions et les répliques des audi¬ teurs. Leis questions étaient aussi variées que l’auditoire ; elles con¬ cernaient, soit les détails des photo¬ graphie? de la nature, soit les moyens de combattre cette nature. U y eut aussi cette question : dans combien de temps devaient appa¬ raître sur Venus des êtres humains sortis de sa propre nature, et quelle serait la conformation de leur ccrrp? ?
Les objections étaient, en général, naïves mais parfois assez spirituelles et tendaient surtout à rejeter cette
conclusion d’Eùno que, à l’époque j présente, Vénus est une planète im¬ praticable pou-r les humains et que c’est-à peiné si l’on parviendrai} bien¬ tôt â utiliser une part, si petite soit- elle de ses immenses richesses. Les jeunes optimistes s’élevèrent éner¬ giquement contre cette position qui exprimait les vues de la majorité des explorateurs. Enno signala que le soleil brûlant et l’air humide, avec un pullulement de bactéries, cons¬ tituent pour les gen? un danger de nombreuses maladies dont avaient souffert tous les voyageurs ayant visité Vénus ; que, de plus, les oura¬ gans et les orages rendent tout tra¬ vail difficile, mettent les vie? en pé¬ ril, etc.
Les enfants trouvaient étrange de reculer devant, de tels obstacles alors qu’il s’agissait de s'emparer d'une si belle planète. Pour lutter centre les maladies et les bactéries, il fallait envoyer là-bas le plus tôt possible des milliers de médecins ; pour combattre les ouragans et les orages, cent mille bâtisseurs qui conduiraient, où il le faut, des murs très hauts et poseraient des paraton¬ nerres. « Que quatre-vingt-dix pé¬ rissent, dit un ardent garçon de 12 ans, il vaut la peine de mourir poiir remporter la victoire ! ». A voir son regard enflammé, on pouvait être
sûr que lui-même ne se refuserait pas à être au nombre des quatre- vingt-dix.
Enno détruisit, avec calme et dou¬ ceur, les châteaux de cartes de ses contradicteurs, mais il était visiblo qu’en son for intérieur il sympathi¬ sait avec eux et que, sous une vivo fantaisie, il cachait des plans tout aussi décisifs, quoique plus réfléchis, mais ne comportant pas mffinis d'ab¬ négation.
11 n’avait pas encore été lui-même sur Vénus mais, rien qu’à son en¬ thousiasme, il était clair que la beau¬ té et les dangers de celte planète l’attiraient fortement
Quand l’entretien fût terminé, En- no partit en même temps que nous. Tl décida de rester un jour encore dans celte vide et me proposa d’al¬ ler avec lui le lendemain au musée d’art. Netti était occupé, on l’appelait ailleurs pour un grand congrès de médecine.
IV. - LE MUSEE D’ART
— Jè n’aurais jamais supposé qu’il existât cliex vous un musée spécial d’œuvres d'art, dis-je à Enno en al¬ lant au musée Je pensais que ies galeries de. peinture et de sculpture sont justement une particularité du capitalisme, avec leur luxe à effets et. leur tendance à un entassement
grossier des richesses. Je pensais que dans une société socialiste, l'art devait s'épanouir partout avec la vie, dont il est l'ornement.
— Aussi . ne vous êtes-vous pas trompé, répondit Enno. La plus grande part des productions artisti¬ ques est toujours destinée, chez nous, aux édifices sociaux c’est-à-dire ceux où nous traitons les affaires publiques, où nous nous livrons à l’étude et aux recherches, où nous nous reposons-. Nous déoorons beau¬ coup moins nos fabriques et nos usi¬ nes : l'esthétique des puissanles ma¬ chines et de leur mouvement ordon¬ né nous plaît en elle-même, bien peu de productions artistiques s’harmo¬ niseraient avec elle sans en dissiper et affaiblir l'impression. Nous dé¬ corons , moins encore nos maison?, dans lesquelles la plupart d'entre nous vivent fort peu. Mais nos mu¬ sées d’art sont, des institutions scien- tifico-esthétiques, ce sont des écoles destinées à l’étude du développement des arts, ou plutôt de l’évolution hu¬ maine dans son activité artistique.
I>e Musée élaii. situé sur le lac. dans une petite île qu’un pont étroit reliait à la berge. L’édifice, un qua¬ drilatère allongé, entouré d’un jar¬ din avec de hautes fontaines et quantité dp fleurs bleues, blanches, noires et vertes, était délicatement
orné à l’extérieur et baigné de lu¬ mière à l’intérieur.
On n’y voyait pas celte accumula¬ tion absurde do, statue?, et de ta¬ bleaux comme dans les grands mu¬ sées de la Terre. Devant moi se dé¬ roulait, en quelques centaines d’ima¬ gos, la chaîne du développement des arts plastiques depuis le?, travaux primitifs des temps préhistoriques jusqu’aux productions techniques- idéales du dernier sièclè. Et du com¬ mencement à la fin, on sentait par¬ tout l’empreinte de celte intégrité vivante que l’on appelle « génie ». C’était, à n’en pas douter, les meil¬ leures œuvres de toutes les époques.
Pour comprendre clairement la beauté de cet .autre monde, il faut en connaître profondément la vie, et pour donner aux autres la notion de cette beauté, il est indispensable d’y participer soi-même organique¬ ment... Voilà pourquoi il m’est im¬ possible de décrire ce que j’ai vu tà- bas : je puis seulement donner un aperçu et quelques indications som¬ maires de -ce qui m’a le plus frappé.
(A suivre.)
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N*-,23i Feuilleton du Populaire. 26 8-36
III
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III
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Alexandre Bogdanov
L'ETOILE
ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignot
Manuscrit de Léonide
; DEUXIEME PARTIE
IV. — LE MUSEE U’AKT
Le thàma fondamental des Mar¬ tiens, comme celui de notre propre sculpture, c’est le corps humain. Les différences de constitution physique entre Martiens et Terriens ne sont
pas grandes en général ; si l’on en excepte le contraste très accusé dans la grandeur des yeux et, donc, dans la structure, du crâne, ces dis- semb'anees ne dépassent pas celles qui exjslerit entre racés humaines. Je rie '• saurais les expliquer avec exactitude,’. connaissant trop mal l'a¬ natomie, mais mes yeux s y accoutu¬ mèrent facilement et les accueillirent du premier coup, non comme une difformité mais comme une origi¬ nalité.
Je remarquai, entre les constitu¬ tions masculine et féminine, une analogie plus grande que chez la ma¬ jorité des races terrestres : les épau¬ les comparativement larges des femmes ne sont pas très apparentes, grâce à quelque embonpoint ; la mus* culature sailîante des hommes et leur bassin moins étroit atténuent la dif¬ férence: D’ailleurs, cela a trait sur¬ tout à l’époque récente, époque dé libre développement humain ; dans les statue? de la période capitaliste, les distinctions de sexes sont plus fortement marquées. Il est visible que l’esclavage domestique de la femme et la lutte fiévreuse de l’hom¬ me pour l’existence déforment leurs corps de manière dispara Le.
Pas une minute, je ne perdis la conscience tantôt claire, tantôt trou¬ ble, d'être devant des images' d’un
i monde étranger ; elle prêtait- à mes ' impressions une teinte étrange, com¬ me mi-transpa rente. Et même le beau, corps féminin de ces statues et des -tableaux1 éveillait en inoi un sen¬ timent incompréhensible qui ne res; semblait en rien à l’inclination es- thèlico-amoureuse que je connais¬ sais, mais rappelait plùtét ces pres¬ sentiments obscurs qui me trou¬ blaient il y a bien longtemps, à la limite de l’enfance et de l’adoles¬ cence
. Les statues des premières époques étaient uniro ores comme chez nous et les .plus récente?, de couleur na¬ turelle. Cela ne me surprit pas. J’ai louiours pensé que la répudiation de la réalité ne saurait être un élé¬ ment indispensable de l’art, qu elle est même anliartistique ' lorsqu’elle restreint la richesse de conception comme la monochromie de la sculp¬ ture et, en ce cas, ne peut aider mais entraver l’idéalisation artistique de la vie.
Dans les statues et les tableaux des époques anciennes, comme dans noire sculpture antique, prédominaient des formes d’une sérénité sublime r— re¬ flet? d'une harmonie paisible, libre de toute, tension. Aux époques moyennes de transition intervient un autre caractère : l’élan; la passion, les aspirations tourmentées, parfois
atténuées jusqu’à l’égarement du rêve, érotique, ou religieux, parfois rompant brutalement là limite de tension des forces en déséquilibre de l’âme et du corps. A l'époque socia¬ liste, le caractère essentiel change à nouveau : c’est lé mouvement har¬ monieux, la manifestation calme et sûre, de la force, l’action étrangère à tout effort maladif, les tendances libres de toute inquiétude, l’activité vivante pénétrée de la conscience de son unité ordonnée pl de sa raison invincible.
Si l’idéale beau lé féminine de l'art antique exprimait une infinie poss;- bilité d’amour tandis que la beauté idéale du Moyen-Age et de la Ile- naissance traduit une inextinguible soif d’amour mystique ou sensuel -- en revanche, ici, l'idéale beauté de cet autre monde qui nous devance incarne l’amour dans une calme et fière conscience de soi, l'amour mê¬ me,. clair, lumineux, triomphant.
La caractéristique des œuvres ré¬ centes comme, des anciennes est l’extraordinaire simplicité d’un motif unique. Des êtres humains com¬ plexes sont représentés avec leur riche contenu, vital et harmonieux ; on choisit 'es moments de leur vie où la personnalité se concentre toute dans un certain sentiment vers un certain bu U Les. théines préférés des,
artistes, sont l’extase de la pensée créatrice, l’extase de l’amour, l’exta¬ se -de.-, la -contemplation de la nature, la sérénité dans l’acceptation de la mort, sujets qui expriment profon¬ dément l'essence même de la grande race qui sait- vivre dans sa pléni¬ tude, mourir avec conscience et di¬ gnité: -
La section 'de peinture et de sculp¬ ture constituait une moitié du mu¬ sée, l’autre moitié entièrement conr sacrée à l'architecture. Sous le terme d’architecture, les Martiens englo¬ bent non seulement l'esthétique des bâtiments et des grandes construc¬ tions du génie civil, mais aussi l'es¬ thétique do« meubles, des outils, des machine? et, en général, de tout oc qui est matériellement utile. On peut 'juger du râle très important joué par cet art dans leur vie à la manière particulièrement complète et soignée dont est. composée cette collection. Depuis les habitations primitives des cavernes avec leurs ustensiles gros¬ sièrement décorés, jusqu’aux somp¬ tueux' édifice® puh’ics de verre et d'aluminium dont l'agencement in¬ térieur esl dû aux meilleurs artistes, jusqu’aux usines. géantes et leurs ma¬ chines -d’une redoutable beauté, jus¬ qu’aux. immensp? canaux avec leurs quais de granit et leurs périls aériens — là se~trouvaieat représen¬
tées toutes les formes typique? sous l’aspect de tableaux, de plans, de mo¬ dèles et surlou-i de stéréogrammes qui, dans de grands - stéréoscopes, donnaient des reproduction? avec une pleine illusion d'identité. L’es¬ thétique des jardins, des champs et des parcs ' tenait une place à part : aussi étrangère que me fût . la na¬ ture de la planète, j’élais déjà sen¬ sible à la beauté de ces combinai¬ son? de fleurs H de formes qui fai¬ saient de celle nature le génie col¬ lectif de la rare aux grands yeux.
Dans l'ancien temps, il arrivait souvent, comme chez nous, que l’élé¬ gance existât au détriment de la commodité, que les décorations nui¬ sissent à la solidité ; en ce cas, l’art faisait violence à la .destination utile, directe des objels. Mes yeux ne surprirent rien de semblable dans les œuvres contemporaines, pas plus dans l'ameublement que dans-l’outil- laçe ou la construction. Je deman¬ dai à Enno Si le? architectes martiens admettaient de tendre plutôt à la beauté qu’à la perfection pratique des objels.
— Jamais, répondit Enno, ce serait une beauté fausse, un artifice et non de l’art.
A l’époque pré-socialiste, les Mar¬ tiens érigeaient des monuments â leur? grands hommes, maintenant [
■HiliHl!!H!;HII!«llllHI!IHII!HII!Hi:m;!IHmm!inai
ils en élèvent en souvenir des grands., événements. comme la première -ten- - tative d’atteindre la Terre (qui -se termina par la perte des explora¬ teurs), l’enrayemerit d'une épidémie mort elle, la découverte de la décom¬ position et de la synthèse, de tous les éléments chimiques. Une série de monuments était exposée dans les stéréogrammes de la section où se trouvaient les mausolées et les églises (la religion .ayant existé, au¬ trefois chez les Martiens). Un des derniers monuments aux grands hommes était dédié fi cet ingénieur dont m'avait parlé Menni. L'artiste sut représenter la force d’âme' de l’homme qui avait conduit avec suc¬ res l’année du travail au combat contre la natwo et récusé fièrement le pusillanime .jugement moral de ses dcles. Lorsque je m’arrêtai dans une méditation involontaire devant le monument, Enno prononça à voix basse quelques vers exprimant la tragédie intérieure du héros.
— De qui sont ces ver? ? deman¬ dai-je.
— De moi, répondit Enno. Je les aj écrits pour Menni.
(à suivre.)
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5 Alexandre Bogdanov S
L'ETOILE
ROUGE
T raduif d u russe B par Colette Peignol
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Manuscrit de Léonîde
" DEUXIEME PARTIE IV. — LE MUSEE D’ART
Sans pouvoir juger de la beauté intrinsèque du poème, j’eà saisissais là claire inspiration, le rythrrtë mu¬ sical, la rime sonôre et riche. Ce qui donàe une autre orientation à mes pensées.
— Ainsi, une cadencé ét une riméj sévères régnent éncorè dans votre poésie ?
— Certes, dit Enno avec une nuancé d'étonnement. Est-ce que cë- la ne vous paraît pas beau ?
— Non, ce û'èst pàs cèla, expli¬ quai-je, mais chez nous, une opinion est très répandue selon laquelle cette forme serait née du goût des classés dirigeantes de notre société, comme le reflet de leur caprice et de leur engouement pour les conventions qui entravent la liberté du langage poéti¬ que. On en conclut que la poésie de révenir, celle de Tàge socialiste, doit répudier et oublier ces lois gênantes.
— C’est complètement faux, répli¬ qua Enno avec ardeur. La justesse rythmique nous semble belle, non par i-ngouement conventionnel ruais par¬ ce qu’elle s'harmonise profondé¬ ment avec la régularité des proces¬ sus rythmés de notre vie et de nôtre conscience sociale. Et la rime' qui parachève une suite variéè d’accords finaux identiques n’est-èlle pas ap¬ parentée dè mèmè à cè lien . vivant des êtres humains par lequel leur diversité intime est couronnée par l’unité dans l’amour, l’unité, dans lè travail, l’uùité dans l’inspiration ar¬ tistique. Sans rvthnie, ,il n’y aurait pas d’àrt. A défaut du rythme dès Sons, il doit exister et, plue* rigou¬
reux encore, le rythme des imagés, le rythme des idées--- Et s'il est vrai que la rimé soit d’Originé féodale, alors on pèut en dire autant de beau¬ coup d’àutres belles et bonnes choses.
— Mais, cependant la rime, ên ef¬ fet, gène et entrave l'expression dè l’idée poétique ?
— Et qu’est-ce que cela prouvé '! Cètle gêne ne découlè-t-élle pas du but que s’assigne librement l’artiste ? Elle ne fait pas qu'entraver, elle •perfectionne l’expression .de l’idée poétique et c’est en vertu de cela même qu’elle existe. Plus le. but est complexe, plus la veine pour y par¬ venir est difficile et, par conséquent, plus grande e9t la gêne dans cette voie. Si vous voulez construire un bel édifice, combien, de règles de la technique et de Thymome détermi¬ neront, c’est-fe-dire « gêneront. » votre travail ? Vous étés libre dans lè choix du but. c’est là précisément l’unique liberté humaine. Mais le choix du but implique lés moyens pour l’atteindre.
Nous sortîmes dans le jardin afin de fions reposer de tant d’impres¬ sions diverses. C’était par une clairè èt douce soirée de printemps. Lès fleurs cemmençaiéût à roulèr leurs calices et leurs feuilles pour les fer¬
mer durant la nuit, particularité commune à toutes les plantes sur Mars, en raisbn des nuits froides. Je ranimai la conversation commencée.
— DiteS-moi, quel genres prédo¬ minent à l'heure actuelle dans votre littérature ?
— Le drame, surtout la tragédie, et la poésie inspirée de la nature, ré¬ pondit Enno.
— Quel peut être le contenu de votre tragédie ? Où donc en trouver le thème dans votre existence heu¬ reuse et pacifique ?
— Heureuse ? Pacifique ? Où avez-vous pris cela ? Chez nous, la paix règne entre les hommes, c’est vrai, mais il n’y a pas de paix avec la force de la nature et il ne sau¬ rait y en avoir. C’est une ennemie, dont Ta défaite comporte toujours une nouvelle menace. Avant la der¬ nière période de notre histoire, nous .avons plusieurs fois décuplé l’exploi¬ tation de la planète, notre population augmente et nos besoins 'â’accrois- sènt sans comparaison plus vite en¬ core. Lè dangèr d’épuisement des forces et ressources naturelles nous a menacés plus d'une fois, dans un domaine ou l’autre du travail, Jus¬ qu’à présent, nous l'avons surmonté sans recourir à ce que nous haïs¬ sons : l'abréviation de la vie, en
elle-même où' dans la' descendance ; mais maintenant^ la lutte prend un caractère particulièrement sérieux.
— Je n’aurais jamais cru que, avec votre puissance technique, et scienti¬ fique, de tels dangers • fussent pos¬ sibles. Vous dites que cela est déjà arrivé dans votre histoire '?
— Il n’y a que spixanle-dix ans, quand les stocks de charbon furent épuisés et que le passage à la houille blanche et à l’énergie électrique n'é¬ tait pas encore accompli, il noua a fallu, pour construire uue grande quantité de nouvelles machines, ae- truire une partie importante des fo¬ rêts qui nous étaient précieuses, ce qui a enlaidi notre planète pour des dizaines d'années ■ et à Itéré. notre climat. Quand nous sortîmes de cette, crise, voici vingt ans, il appa¬ rut que l’pn arrivait à la fin du mi¬ nerai de fer. On commença une étude rapide des alliage?, durs de l'alumi¬ nium et. le contingent colossal de moyens techniques dont nous dispo¬ sions fut concentré sur l’extraction électrique de l'aluminium du sol. A présent, d’après les calculs des sta¬ tisticiens, nous serons menacés d^ns trente ans d’une raréfaction des vi¬ vres si, d'ici là, on n’a pas réalisé la synthèse des albuminoïdes tirés des éléments naturèls.
— Et les autres planètes ? objec- tai-je. Est-il invpossible d’y trouver de quoi combler votre déficit ?
— Où ? Vénus ? elle est apparem¬ ment inabordable. La Terre ? elle a son humanité et, d’ailleurs, on. n a pas encore élucidé la possibilité pour 'nous d’utiliser ses forces. Le par¬ cours seul exige chaque fois une formidable dépense d’énergie et les provisions de matière radiante indis¬ pensables pour l’effectuer sont, d’après Menni, qui m’a récemment mis au courant de ses dernières in¬ vestigations, très réduites sur notre planète. Non, il y a de grandes dif¬ ficultés de tous côtés, et plus notre humanité serre étroitement ses rangs pour conquérir la nature, plus les "éléments semblent se coaliser ipour venger leur défaite.
— Mais il suffirait toujours, par exemple, de restreindre la natalité pour' améliorer les’ choses ?
— Restreindre ,1a natalité ? Voilà bien une vlcfbirè des éléments. Ce serait le renoncement à la croissance illimitée de l’humanité, l’arrêt inévi¬ table de la vie à l’une des plus pro¬ chaines étapes. Nous vainquons tant que nous attaquons. Quand nous re¬ noncerons à multiplier notre armée cela signifiera que nous pommes as¬ siégés par les éléments de tous les c.’.fSs Alnra faihlira la foi en noire
force collective, en notre grande vie commune. Chacun perdra, avec cette foi, le sens de sa propre vie car en chacun de nous, petites cellules d'un immense organisme, vit un tout dont vit chacun de nous. Non 1 restreindre les naissances, c’est la dernière cho¬ se à laquelle nous nou*. résoudrons, et, si cela arrive malgré notre vo¬ lonté, ce sera le commencement do la fin.
— Bon, je comprends que la tragé¬ die du tout existe toujours pour vous, au moins comme éventualité menaçante. Mais tant que la victoire reste à l’humanité, l’individu est as¬ sez à Tahri de cette tragédie de la collectivité ; même quand vient le danger direct, les efforts et les mal¬ heurs indicibles d’un combat in¬ tense se répartissent si également entre d’innombrables individus qu’ils ne peuvent troubler sérieusement leur bonheur. Et il semble que rien ne manque chez vous à ce bonheur.
(A suivre.)
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K» 25. Feuilleton, du Populaire. 28-8-36.
R Alexandre Bogdanov L
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L'ETOILE
ROUGE
Traduit du russe par Colette Peignot
Manufcrit de Léonîde
DEUXIEME PARTIE rv. — LE MUSEE D’ART
, — Notre bonheur ! Mais est-il pos¬ sible à un individu de ne pas ressen¬ tir fortement et profondément les se¬ cousses de la vie du tout, en lequel est son commencement et sa fin ? Et de la limitation mênie de tout être
distinct par rapport à son tout, comme de son impuissance à se foû- dre pleinement dans ce tout, à dis¬ soudre en hii sa conscience et à le saisir par la conscience, ne s’ensuit- il pas de profondes contradictions de la vie ? Ces contradictions vous pa¬ raissent incompréhensibles ? C’est parce qu’elles sont obscurcies dans votre monde par d’autres contradic¬ tions plus } ww lies et plus grossières. La lutte des classes, des groupes, des personnalités, vous prive de l’idée du tout et en môme temps du bon¬ heur et des souffrances qu’elle com¬ porte. J’ai vu votre monde, je . ne pourrais supporter un dixième de la folie où vivent vos frères. Mais c’est justement pour cela que je ne me permettrais pas de dire qui de nous est plus proche d’un calme bonheur : plus l'existence est harmonieuse et énuitibrée,’ plus poignantes sont .les dissonances inévitables.
_ Mais dites-moi, Enno, vous par
exemple, n’ôtes-vous pas un homme heureux ? Jeunesse, science, poésie, et sans doute amour... Qu’avez-vous pu éprouver de si pénible pour par¬ ler avec tànt de flamme de la tra¬ gédie de la vie ?
— Ah ! très bien dit-! s’exclama Enno avec un rire étrange. Vous ne savez pas que le joyeux Enno était déjà décidé à mourir. Si Menni avait
tardé un seul jour à lui écrire six mots qui dérangèrent tous ses pro¬ jets : « Ne voulez-vous pas aller sur la Terre ? », vous n’auriez pas con¬ nu votre heureux, compagnon de voyage. Mais je ne puis vpus expli¬ quer tout cela maintenant. Vous ver¬ rez vous-même par la suite que si le bonheur existe chez nous, ce n’est pas ce paisible et calme bonheur dont vous parliez.
Je n’osai pas questionner plus avant. Nous nous levâmes et. retour¬ nâmes au Musée. Mais il m’était im¬ possible de regarder méthodiquement los collections : mon attention était dispersée, mes pensées fuyantes. Je m’arrêtai à la section de sculpture devant une statue des plus, modernes icprésentant un merveilleux garçon. f.es traits de son visage rappelaient ceux de Nè.tti ; mais ce qui me frap¬ pa le plus, c’est l'art avec lequel l’ar¬ tiste avait réussi à incarner dans un corps indéterminé et des trait im¬ précis le génie, et aussi le regard alar¬ mé et scrutateur de l’enfant. Jè res¬ tai longtemps immobile devant la statue et perdis conscience de tout le reste quand la voix dTSnno me contraignit à reprendre mes esprits.
— C’est vous, dit-il,' montrant le garçon, c’est votre monde. Ce serq un monde superbe, mais il est ■■ encore dans l’enfance; voyez quels rêves
troubles, quelles images inquiétantes soucis. Cèla m’était très agréable et f, agitent sa conscience— Il est à demi je m’endormis au bout dé quelques f8 endormi, mais il s’éveillera, je le minutes. A mon réveil, .Netti était di sens, je le crois profondément 1 auprès dé moi et me régardait où
La joie que me causèrent ces mots souriant.
fut mêlé d’un étrange regret : « Que n’est-ce Netti qui a dit cela ! »
V. — A L’HOPITAL
Je rentrai à la maison très fali-
— Etes-vous’ mieux, maintenant’/ demanda-t-il.
‘ — Je me porte tout à fait bien et vous, êtes un médecin génial, répon¬ dis-je. Retournez à vos malades et
gué ; après deux nuits d’insomnie et ne vous inquiétez pas dé moi
_ : _ ' _ i ; A. — „ /l'in/innnniln /in Vlnn ~ ~ t téniv,lr,;
une journée entière d’incapacité de _ Mon travail est terminé pour
travail, je décidai d’aller de nouveau aujourd'hui. Si vous le désirez, je chez Netti, n’ayant nulle envie de vais vous montrer notre hôpital, jpro-
m’adresser à un médecin inconnu de posa Netti
la ville chimique. Netti travaillait Cela m'intéressait vivement et nous
dès le matin à l’hôpital ; c'est là que fîmes le tour de cette vaste et belle ie le retrouvai après la consultation, maison.
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Quand il me vit dans la salle, il vint tout de suite à moi, regarda atlenti-
maison.
Parmi lés malades, prédominaient les nerveux et les opérés. La plupart
vcment mon visage, me prit par la de ces derniers étaient victimes d’ac- main et m’emmena dans une petite cidents aux machines.
chambre écartée où une douce lu-
Vous n’avez donc pas de moyens
mière bleue pâle se mêlait à une de protection suffisants dans les
odeur légère de parfums inconnus, usines et les fabriques ? question- Un silence absolu régnait Netti, me nai-je.
fit asseoir confortablement dans un (X suivre.)
fauteuil profond et. dit
tez de rien. Aujourd'hui, je prends PAYABLE 100 FRANCS PAR MOIS
tout sur moi. Reposez-vous, jè re- salue a mander ou ohambre chên*
(A suivre.)
viomtrsi ensuite «eulpté, -fabrication sar&otie. SANS VER-
Menorai ensuite. sement d-avance Bail d-Bxpooitiw . ,
Tl sortit et je ne pensai à rien, Française du Msubia, iss, boulevard